Patrick Buisson, politologue et ancien conseiller personnel du président Sarkozy, publie un nouvel essai "La Fin d'un monde, oui c'était mieux avant !" (éditions Albin Michel), qui raconte tout ce que la modernité a déshumanisé et délier dans les âmes et la vie du monde. Dans "le Grand entretien, le Piège moderne" il est interrogé par Charlotte d'Ornellas pour Valeurs actuelles :
Extrait :
"Oui, c'était mieux avant. Je le sais, donc je parle en connaissance de cause. L'ancien monde pouvait avoir quelque chose de pesant, d'injuste souvent, et d'insupportable. Mais ce que nous avons gagné globalement relève de la technique, c'est un progrès technique. Ce que nous avons perdu relève de l'humanité : la joie de vivre, l'entraide, le don, la gratuité, la légèreté, la solidarité. Nous avons perdu tout cela, c'est-à-dire ce trésor d'humanité que nous avons dilapidé.
"De même face à la mort, on peut dire que la religion était l'invention des hommes et que l'humanité a amassé ce trésor d'intelligence pour contenir son angoisse de la finitude. Cela, on peut le dire, mais le fait est que le trésor était là, alors qu'il ait été un don divin ou une création humaine, en tous les cas il remplissait une fonction. Et cette fonction aujourd'hui n'est plus remplie.
"[...] Moi, je vois le remplacement des hommes par des post-humains, je vois le remplacement de l'homme sacré, de l'homme religieux par le consommateur. Et de tout ce qui s'est passé, rien ne peut être compris si on ne comprend pas cela, si on ne comprend pas que tout est permis à partir de ce grand remplacement-là.
"[...] Donc à un moment, la transformation technique est faite. On est sorti de cette paysannerie pré-capitaliste, d'une économie de subsistance, et on l'on a oublié la religion en route. Et on aura détruit cinq millions d'emplois. On aura détruit nos paysages, avec le remembrement, crime contre cette vieille France. [...] On a détruit tout cela, la table rase, la Révolution avec la bénédiction des évêques. On saccage les paysans, les paysages, c'est le thème exploité par de nombreux historiens, pour cinquante ans après revenir à ce qu'étaient les techniques agricoles d'avant la révolution agricole, la permaculture, l'agriculture bio. Et on se dit cela a servi à quoi finalement la révolution agricole ? Quel est ce progrès qui a tout détruit puisque finalement on revient à ce qui était avant ?
"Il faudrait pouvoir un jour - c'est mon rêve - inaugurer un monument, un martyrologe du progrès, toutes les millions de vies humaines qui ont été sacrifiées au progrès, à commencer par les millions de vies humaines de femmes ou d'enfants dont le capitalisme du XIXe siècle.
"Il suffit de lire un livre comme celui de Jack London, Le Peuple de l'abîme (1903), pour savoir ce qu'a été la condition des ouvriers, des femmes et des enfants (au XIXe s. NdCr). Les premiers à se pencher sur cette question d'ailleurs, c'est l'Église catholique (les légitimistes, la droite conservatrice) qui veut légiférer et qui impose une législation sur le travail des femmes, sur le travail des enfants, qui se dresse la première, avant même les socialistes français, contre ce capitalisme-là. Et des millions de vies ont été sacrifiées au nom du progrès.
Lire : C'est la droite légitimiste et traditionaliste qui la première prend la défense des travailleurs
"On nous dit toujours regardez ce que le progrès sauve comme vies humaines. Mais regardez ce qu'il a coûté en vies humaines aussi ! [...] Le passif est énorme et il faut l'apprécier.
"Tout progrès finalement entraine un anti-progrès et ne pas le voir c'est avoir une approche idéologique des choses.
"[...] Il ne faut pas avoir de scrupules. Vous connaissez le grand procès des progressistes 'vous voulez revenir en arrière', le péché absolu. Mais, l'histoire ne fait que revenir en arrière. Ainsi, le cycle de mai 68 est en train de se terminer, les Français plébiscitent l'institution militaire, mai 68 c'est le rejet de l'autorité, le rejet de toutes institutions. Donc on revient bien en arrière. Après le temps des totalitarismes il y a eu le temps des démocraties, on est donc revenu en arrière, à la période d'avant. [La dite "Renaissance" elle-même (sic) est un retour en arrière... ("réactionnaire"?), puisqu'elle consistait à un retour aux textes antiques comme modèle de vie, d'écriture et de pensée : 'rajeunir les idées fanées est la tâche de l'humaniste...' (Michaël Rabier, Nicolas Gomez Davila, Penseur de l'Antimodernité, Vie, œuvre et philosophie, Préface de Stephen Launay, Collection Théôria, L'Harmattan, Paris 2020, p. 167.) NdCR.] L'histoire balbutie, revient sans cesse en arrière.
"Il n'y a aucune honte à revenir à l'endroit où l'on s'est trompé de chemin pour prendre la bonne route. C'est même plutôt une réaction saine et intelligente. Plutôt que de continuer à foncer à folle allure sur l'autoroute qui ne mène à rien, ou qui mène à l'abîme, c'est se dire je me suis trompé de chemin et je fais demi-tour, cela s'appelle le courage politique. Mais revenir en arrière, ce concept même pour un progressiste est absolument blasphématoire."
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