Anéantis ton désir immodéré de voir et d'entendre des choses vaines ; accepte par amour ce qui te déplaisait naguère, et trouve là ta joie ; renonce pour moi au bien-être de ton corps. Tu dois chercher tout ton repos en moi, aimer ce qui est désagréable à ton corps, souffrir patiemment les maux venus d'autrui, souhaiter les mépris, tuer les appétits, mourir à tous désirs. À l'école de la sagesse, ce sont là les premiers principes qu'on lit dans le livre ouvert et étendu de mon corps mis en croix.
Au commencement du XIVe siècle vivait en Souabe un célèbre Dominicain du nom de Suso.
Il ne se faisait point acclamer dans les chaires d'université; dans les villes populeuses, il n'a pas non plus ramené par ses prédications de grands filets chargés d'âmes pour la barque de l'Église. Mais les esprits inquiets de l'invisible, les vierges tourmentées de pur amour, les pauvres femmes tombées qui pleuraient sans oser lever les yeux vers le Christ, attendaient son passage comme le voyageur perdu dans la nuit soupire après l'aurore. (1)
Connu pour avoir répandu la mystique rhénane de Maître Eckhart et de son autre disciple Jean Tauler, le "Docteur Illuminé" dans l'ordre dominicain, Henri Suso apparaît comme l'une des principales figures de la spiritualité à la fin du Moyen Âge. Ses prédications, comme celle de Jean Tauler, développent le thème du détachement, du renoncement, et prêchent une ascèse apparemment austère, mais qui, au XIVe siècle, est nettement moins doloriste que les autres.
Il rédigea le Petit Livre de la Vérité pour la défense de Maître Eckhart, mais cela lui valut des ennuis avec les autorités ecclésiastiques. Il écrivit ensuite le Livre de l'éternelle Sagesse, qui lui valut aussi des démêlés avec son Ordre.
Fondée sur une théologie thomiste, sa spiritualité exalte le retrait progressif du monde sensible et la contemplation du Christ au travers de ses perfections et de ses souffrances.
Il aimait à s'appeler le Serviteur de la Sagesse éternelle, et son Horloge de la Sagesse (ou Livre de la Sagesse éternelle) est le livre le plus lu en Allemagne au XVe siècle et au XVIe siècle, devant l'Imitation de Jésus-Christ. (Présentation de bienheureux Henri Suso, par les dominicains du Canada.) L'Horologium : "peu de livres de spiritualité furent aussi souvent copiés, imprimés, traduits, aussi populaires, dans les couvents et dans le monde pieux, pendant de longs siècles." (2)
La vie du Bienheureux Henri Suso
Henri est né sur les bords du lac de Constance, à la fin du XIIIe siècle, d'un père mondain et violent, et d'une mère douce et pieuse. Sa mère, "remplie de Dieu" eût voulu vivre uniquement pour lui; mais "rempli du monde", son père s'y opposait avec rigueur et dureté. Elle avait coutume de jeter toutes ses souffrances dans les cruelles souffrances du Christ, et par là oublier les siennes. Elle était de la petite ville d'Uberlingen, également située sur un village pittoresque au bord du Lac. Henri Suso voulut porter le nom de sa mère : Suse, Sus, Susze, en dialecte souabe Seuse ou Saus, suivant la forme adoptée. Un sens étymologique plus rigoureux donne pour origine au nom de Seuse l'ancien verbe sûson, d'où sont issus sûsen, siusen en moyen haut allemand, et sausen (bruire, murmurer) en allemand moderne. La forme latinisée, attestée dès le XIXe siècle est la plus employée. (Jeanne ANCELET-HUSTACHE, ibid., p. 10-11.)
La date de la naissance d'Henri Suso est incertaine.
Il fut à l'école de Cologne l'élève de Maître Eckhart, qui enseigna dans cette ville de 1320 à1327.
Si l'on compte les onze années d'études régulières à Constance après l'entrée au cloître à l'âge de treize ans, Suso est donc né entre 1296 et 1302, plus près de 1296 semble-t-il.
Une gravure sur bois datée d'Ulm, 1470, donne Constance comme ville natale de Suso.
La critique moderne laisse à Constance l'honneur d'être le berceau de Suso.
Peut-être a-t-il rencontré Tauler à l'école de Cologne, en tout cas il est en relations directes avec lui puisque Tauler possède un exemplaire de l'Horologium peu après la rédaction de celui-ci.
Enfant encore naïf, ignorant la nature de l'amour, il est frappé de trouver dans la Bible des paroles qui l'invitent à aimer la Sagesse.
Au cours des lectures conventuelles, il entend louer cette divine Sagesse comme une amie d'élection, une épouse chérie. Il se rappelle avec joie les paroles qui l'invitent à l'aimer, et il les transcrit. [...] Hésitera-t-il, lui qui aspire à des biens incomparablement plus grands ?
La Sagesse elle-même le rassure : "Engage ton pied dans ses entraves et ton cou dans son collier... Car, à la fin, tu trouveras en elle ton repos et elle se chargera pour toi en joie : ses entraves deviendront pour toi une protection puissante et un ferme appui, et son collier un vêtement de gloire." Maître Eckhart parle de "l'union ineffable de Dieu et de l'âme."
Il entre chez les dominicains de Constance à l’âge de 13 ans. L'église était dédiée à saint Nicolas, très honoré dans la région du lac de Constance : la Vie nous montre Suso l'invoquant dans une détresse mortelle (chapitre XXX.) L'ordre des Prêcheurs est alors en pleine gloire. Il a donné à l'Église ses lumières qui ne s'éteindront plus : Albert le Grand (1180-1280), le compatriote de Suso, Thomas d'Aquin (1225-1274). Ses couvents couvrent l'Europe chrétienne. Le couvent de Constance appartient alors à la province de Teutonia qui comprend environ cinquante couvents, dans le Brabant, la région de Cologne, l'Alsace, la Souabe, la Franconie méridionale et la Bavière. Le novice doit connaître le latin, la logique et la rhétorique, sinon, dès son entrée il les apprendra à l'école de son couvent. Tel est certainement le cas du jeune Henri.
Pendant cinq ans Henri Suso y mène une vie plutôt médiocre et relâchée et, à l’âge de 18 ans, ayant été favorisé d’une vision, il se convertit.
"Au commencement de sa conversion, le frère avait des extases si douces qu'il en devint avide, il se plongeait avec délices dans la sphère immatérielle où Dieu 'jouait le jeu des joies'; mais voici qu'un jour une voix nouvelle, et pour la première fois triste et sévère, se fit entendre à lui :
'Ne sais-tu pas que je suis la porte par laquelle doivent passer tous les vrais amis de Dieu, disait le Crucifié, il faut pénétrer dans les plaies ouvertes de mon humanité souffrante pour atteindre véritablement à la pure divinité.'
Le Chemin de Croix n'était pas encore établi dans l'Église à ce moment-là. Suso devançait d'une manière toute personnelle ce pieux exercice. (3)
Dès lors il se livre à de très rudes austérités et mortifications (privations de nourriture, de boisson, de sommeil, chaînes de fer, cilices et disciplines) pour réduire son corps en servitude, si bien qu'il était proche de la mort.
On le voit sur toutes les routes de printemps ou d'hiver qu'inlassablement il parcourt - presque toujours à pied, selon la règle de l'Ordre, accompagné d'un autre religieux, le plus souvent un Frère lai.
Il garde le silence, il prie, il s'entretient intérieurement avec la Sagesse éternelle dans la détresse ou l'exultation de son âme, et il n'est pas rare que les anges traversent ses méditations, avec leurs instruments célestes et leurs cantiques.
Suso parcourt ainsi la Suisse, l'Alsace, la vallée du Rhin jusqu'à Aix-la-Chapelle. Il prêche parfois dans les villes et les villages, mais plus souvent dans les monastères de Dominicaines. Il est en relations avec les couvents féminins de la Haute-Allemagne, comme celui de Töss, près de Winterhur, dont Elsbet Stagel nous a laissé une si vivante image.
Cette gravure coloriée du XVe siècle, conservée à la Bibliothèque nationale universitaire de Strasbourg, condense deux événements majeurs de la vie de Suso: le moment où il incise dans sa chair le nom de Jésus et celui où, voyant un chien jouer avec un morceau d'étoffe, il comprend qu'il doit accepter les épreuves qui viennent de l'extérieur plutôt que de se les infliger volontairement (l'Exemplar de Henri Suso, gravure coloriée, XVe siècle, B.N.U.S., K7).
Le rosier aux roses rouges
Les chapitres XX à XXIX de la Vie sont consacrés aux multiples épreuves que Dieu impose à son Serviteur.
Voici qu'il atteignait sa quarantième année. Son corps épuisé par des austérités pratiquées depuis vingt ans, était agité d'un tremblement continuel, il ne lui restait plus qu'à mourir ou à renoncer à son genre de vie. Dieu semblait maintenant se montrer ému de le voir tant souffrir et Il lui donnait des marques touchantes de sa compassion.
À cette époque, alors qu'il vit un chien jouer avec un bout d'étoffe, Suso vit un signe de la Providence l'appelant à vivre des pénitences non plus extérieures mais intérieures.
Un jour l'Enfant divin, tout auréolé de soleil planait au-dessus du rosier vermeil dont les fleurs étaient tournées vers le Ciel absolument sans nuage et comme embrasé. Un rayon particulièrement brillant tombait sur le cœur du Serviteur et le rendait resplendissant. Mais le rosier inclinait ou redressait ses branches touffues, afin de barrer la route au rayon céleste; il ne parvenait pas à l'obscurcir, cependant, car son éclat était si fort qu'il passait à travers les roses. Et soudain, voici que le bel Enfant ... dit :
"J'ai illuminé son cœur débordant d'amour afin qu'il rayonne sur d'autres cœurs aimants et les attire à moi; l'épais rosier n'est autre qu'une floraison d'épreuves qui voudront s'interposer, mais en vain, entre son âme et ma grâce; en dépit de tous les obstacles ma volonté s'accomplira parfaitement en lui." (Vie, ch. XX, XXII et XXIV)
Une nuit de carnaval, Jésus, prenant les traits d'un enfant de douze ans, était venu chanter une mélodie céleste sous la fenêtre de son Serviteur affamé et transi; puis, il l'avait rassasié par la main d'un ange, avec des fruits mystérieux cueillis au paradis.
Une autre fois, Suso voyait encore venir l'Enfant divin accompagné de sa Mère Marie; Jésus tenait une petite cruche éblouissante et pleine d'eau fraîche avec laquelle il désaltéra lui-même son serviteur torturé par la soif.
Mais ce fut un certain jour de Pentecôte que la volonté de Dieu se manifesta définitivement au sujet des austérités du Serviteur. Un ange lui apparut et lui ordonna de la part du Maître de mettre fin à ses supplices. Suso prit aussitôt tous ses instruments de torture et s'en fut les jeter dans le Rhin. Il pensait n'avoir plus désormais qu'à se reposer sur le sein de sa Sagesse Bien-Aimée. Hélas ! c'était le moment même où les anges plantaient secrètement derrière lui le grand rosier des tribulations ! S’il a mis fin volontairement à ses mortifications corporelles, le Seigneur ne lui épargna pas les autres, bien plus difficiles car intérieures : il devint l’objet de calomnies et de détractions de toutes sortes.
Une Bulle de Jean XXII "In agro dominico" du 27 mars 1329 condamne 28 thèses de Me Eckhart; il rédige alors le Livre de la Vérité pour sa défense, mais cela lui valut des ennuis avec les autorités ecclésiastiques. Il écrivit ensuite le Livre de l'éternelle Sagesse. On lui doit également des esquisses graphiques qui auraient pour but de symboliser la relation de l'âme avec Dieu.
De nature extrêmement sensible et aimante, Suso se vit abandonné par plusieurs de ses amis.
Épreuves de toute sorte et apprentissage du renoncement
Sa biographie (la Vie) abonde alors en récits d'épreuves de toute sorte. Un jour qu'il s'est recueilli en lui-même, il entend une voix lui dire :
'Sache que le renoncement intérieur conduit l'homme à la suprême vérité.'
Au chapitre VI de la Vie, il est raconté que après sa mort Maître Eckhart apparaît à Suso qui désire apprendre de lui "comment se trouvent en Dieu les hommes qui désirent connaître avec un véritable renoncement la suprême Vérité." À cette question Eckhart répond que personne ne peut expliquer l'absorption de l'homme dans l'abime sans modes. Si l'on peut nommer Dieu un néant c'est non parce qu'il n'est pas, mais en raison de son essence suréminente. (Jeanne ANCELET-HUSTACHE, Le Bienheureux Henri SUSO, Oeuvres, Les Maîtres de la Spiritualité chrétienne, Textes et études, Aubier, Paris 1943, p. 91, 94, 102)
Le Serviteur demande ensuite quels sont les exercices les plus utiles à l'homme qui désire parvenir à ce degré. "Il doit, répond le Maître, se désapproprier de son moi dans un profond renoncement, recevoir toute chose de Dieu, non de la créature, se montrer paisible et patient à l'égard des hommes qui se comportent comme des loups."
Selon cette dernière définition, la gelassenheit équivaut donc à la résignation dans les épreuves, qui est pour l'homme la meilleure mesure de sa vertu : elle implique la charité envers le prochain quand celui-ci est la cause de la souffrance, le renoncement au moi et à la volonté propre, l'obéissance, l'abandon à Dieu que symbolise le lambeau d'étoffe avec lequel joue le chien, et qui se laisse faire sans résistance.
Un jour, Suso arrive dans un bourg où une petite chapelle renferme un crucifix miraculeux. La foule y suspendit un grand nombre d'ex-voto de cire, Suso entra là pour prier. Pendant la nuit, des voleurs survinrent et dérobèrent la cire. L'homme chargé de l'entretien de la chapelle interrogea une enfant de sept ans qui avait vu la veille le Serviteur dans la chapelle. L'homme crut ce que dit l'enfant, et la rumeur injurieuse se répandit dans toute la ville !
Une autre fois le crucifix d'un couvent ayant été trouvé durant le Carême avec du sang dans la plaie du côté, le Serviteur se rendit au lieu du prodige et toucha le crucifix du doigt pour se rendre compte du fait. Des gens qui le virent, racontèrent qu'il s'était blessé lui-même afin de simuler un miracle et de récolter ainsi beaucoup d'argent. Il dut se sauver durant la nuit afin d'échapper au châtiment.
La sœur de Suso selon la chair entra en religion mais fréquenta de mauvaises compagnies et tomba dans le péché. Elle quitta le couvent et s'enfuit. Il se mit en devoir de la chercher, plein de honte, ses amis l'évitant. Il se compara au pauvre Job.
Un jour, des seigneurs veulent le tuer parce qu'il a engagé dans voies de Dieu la fille de l'un, la femme que l'autre aimait. De tout côté il est décrié et abandonné. Mais surtout, Suso est abandonné par les frères de son couvent. Plusieurs maladies l'accablent. Il est victime de divers accidents et de mésaventures.
Une femme va répétant qu'il est le père de son enfant, la calomnie se répand et tient au loin la réputation du Serviteur. Ses fidèles amis se détournent de lui. Ses livres mêmes sont désormais en suspicion. Peu à peu toutefois son innocence fut reconnue et la tempête s'apaisa.
On ne sait que très peu de choses sur les dernières années de sa vie. Il mourut en 1366 vers sa 70ème année.
La réputation de sainteté du Serviteur née parmi ses premiers fidèles ne fit que grandir après sa mort.
Sa vie a été écrite par sa fille spirituelle Elsbet Stagel, religieuse dans un couvent où il exerçait son ministère.
Au XVe siècle, une pieuse femme veuve d'un vice-chancelier de l'empereur Frédéric III fait un don au couvent pour qu'une lampe perpétuelle brûle devant son tombeau. L'épithète "beatus" précède son nom.
Le concile de Constance le considéra comme bienheureux, mais sa béatification officielle est due à Grégoire XVI, en 1831. (Dominicains.ca)
Œuvres
Les manuscrits des œuvres d'Henri Suso se divisent en deux groupes :
1) ceux qui renferment l'Exemplaire, rédigé en 1362, c'est-à-dire les quatre œuvres principales :
- La Vie (autobiographie); Les renseignements fournis par cette œuvre autobiographique doivent être pris "avec une très grande prudence", car Suso n'en est pas le dernier rédacteur. (Jeanne ANCELET-HUSTACHE, ibid., p. 9-10);
- L'Horloge de la Sagesse (Horologium Sapientiae), traduit aussi par Livre de l'éternelle sagesse ou Livre de la Sagesse éternelle publié en 1339,
- le Livre de la Vérité,
- Le Petit Livre des Lettres, et ceux qui constituent seulement une de ces œuvres. (La critique considère aujourd'hui presque unanimement Le Petit Livre de l'Amour comme une œuvre apocryphe.)
2) et ceux qui contiennent seulement une de ces œuvres.
La Vie enseigne comment celui qui commence doit se diriger extérieurement et intérieurement pour être agréable à Dieu. Les bonnes œuvres élevant le cœur de l'homme plus que les paroles seules, Suso montre ce que l'homme qui progresse doit éviter et supporter, quels exercices il doit faire pour mortifier sa sensualité et parvenir à une grande sainteté. Ce livre est une aide et une consolation pour ceux qui cherchent l'intimité divine ou pour ceux que Dieu accable de lourdes peines, selon qu'il a coutume de le faire à l'égard de ses plus chers amis.
L'Horologium Sapientiae, La Sagesse éternelle : Suso reçut de la vérité divine maintes lumières intérieures et eut des entretiens familiers avec la Sagesse éternelle. Il ne s'agissait pas d'entretiens sensibles, ni de réponses par l'intermédiaires d'images, mais seulement de considérations faites à la lumière de la Sainte Écriture, dont les réponses ne peuvent tromper.
Ce livre écrit entre 1334 et 1339 est le seul livre latin que nous possédions de Suso; il contient un enseignement général et traite de la contemplation des souffrances de Notre-Seigneur. Il enseigne à bien vivre intérieurement et à bien mourir.
"C'est là une des plus belles œuvres que la piété du moyen âge ait inspirées." (Jeanne ANCELET-HUSTACHE, Le Bienheureux Henri SUSO, Oeuvres traduites, Les Maîtres de la Spiritualité chrétienne, Textes et études, Aubier, Paris 1943, p. 120.)
Suso a donné l'enseignement sous forme de questions et de réponses, non parce que cet enseignement lui appartient en propre ou parce qu'il l'a énoncé de lui-même. Il pense ainsi donner un enseignement général, car chacun peut trouver là ce qui lui convient, les autres hommes et lui-même. Les pensées sont simples, les paroles encore plus simples, car elles parlent d'une âme simple et s'adressent à des personnes simples qui ont encore des défauts à corriger.
Le premier chapitre explique "comment certaines personnes sont attirées par Dieu sans le savoir." "Je l'aimai et la recherchai dès ma jeunesse, je l'avais choisie pour épouse."
[...] "Aux premiers jours de mon enfance, je voulais la chercher parmi les créatures, comme je le voyais faire près de moi, et plus je cherchais, moins je trouvais, plus je m'en approchais, plus j'en étais éloigné." "[...] J'ai mis des obstacles sur ton chemin chaque fois que tu te serais séparé de moi si je t'avais laissé faire. Tu trouvais toujours quelques opposition dans les choses, et que je veuille ainsi les garder pour moi-même, c'est le signe le plus certain de mes élus. [...] Si je l'avais fait alors, tu n'aurais pas reconnu quel bien je suis, de façon aussi sensible que tu le reconnais maintenant."
"[...] Alors que je m'étais séparé de vous, vous n'avez pas voulu vous séparer de moi; alors que je voulais vous échapper, vous m'avez fait doucement prisonnier. Ah ! Sagesse éternelle, [...] vraiment il est heureux, l'homme que vous prévenez ainsi aimablement, ne lui laissant pas de repos jusqu'à ce qu'il cherche son repos en vous seul."
Le Livre de la Vérité qui montre les hommes de ce temps, ignorants et cependant avides de doctrine spirituelle, ayant mal interprété l'enseignement des maîtres, a été écrit pour permettre de discerner en ces hautes matières la juste doctrine et la simple vérité.
Le Petit Livre des Lettres est un rassemblement par sa fille spirituelle Elsbet Stagel de toutes les lettres que le Serviteur lui avait adressées ainsi qu'à ses autres enfants spirituels; elles aideront à l'homme spirituel à rentrer en lui-même.
Au XVe siècle, toute bibliothèque conventuelle de quelque importance se devait d'en posséder un.
La souffrance. Imiter Jésus en sa Passion, comment cela ?
''Anéantis ton désir immodéré de voir et d'entendre des choses vaines ; accepte par amour ce qui te déplaisait naguère, et trouve là ta joie ; renonce pour moi au bien-être de ton corps. Tu dois chercher tout ton repos en moi, aimer ce qui est désagréable à ton corps, souffrir patiemment les maux venus d'autrui, souhaiter les mépris, tuer les appétits, mourir à tous désirs. À l'école de la sagesse, ce sont là les premiers principes qu'on lit dans le livre ouvert et étendu de mon corps mis en croix.'' (Livre de la Sagesse éternelle III.)
Dans Le Petit Livre de la Sagesse éternelle, Suso reprend des éléments littéraires de son temps. En effet, c’est dans les termes de l’amour courtois qu’il met en scène une sorte de rituel amoureux avec cette différence, majeure, qu’il ne s’agit pas de présents échangés entre le chevalier et l’élue de son cœur, mais de la souffrance. Celle-ci occupe une place centrale dans son œuvre. Il ne faut pourtant pas voir là quelque chose de morbide, de complaisant ou de "masochiste" (comme on se plairait à dire aujourd’hui). Ce serait faire un immense contresens sur la mystique de Suso qui voit en la souffrance un passage vers une vie plus intime avec Dieu.
Suso accueille comme un trésor cette souffrance rédemptrice de la Sagesse éternelle. Dans l’éternité, la Sagesse reçoit la souffrance que Suso lui offre pour soulager la sienne :
"Tes mortifications volontaires, ... me redonnent des forces, et soulageront mes épaules meurtries ; la résistance que tu opposeras au péché consolera mon esprit ; la piété de ton cœur apaisera mes souffrance; et l’amour de ton cœur enflammera le mien." (Le Petit Livre de la Sagesse éternelle, § 65).
La Sagesse éternelle rappelle la valeur infinie de la souffrance ici-bas, et invite à s’abandonner à la volonté divine, sans se plaindre ou protester contre les souffrances envoyées; il s’agit d’accueillir la volonté de Dieu comme l’expression de son amour infinie pour ses créatures :
"Quelle que soit la souffrance que je veux pour toi, c’est sans réserve que tu dois t’abandonner à ma volonté. Ne dis pas : je ne veux pas de celle-ci ou je ne veux pas de celle-là. Ne sais-tu pas que je désire le meilleur pour toi, que j’ai pour toi la même amitié que tu as pour toi-même ? Je suis la Sagesse éternelle, je sais ce qui te convient le mieux. Sans doute as-tu déjà expérimenté que les souffrances que j’impose, si elles vont plus profond dans l’âme, si elles blessent davantage, et à condition qu’on les porte volontiers, font progresser plus vite que toutes les souffrances que l’on aurait choisies soi-même. Alors de quoi te plains-tu ? Dis plutôt : 'Ô mon Père souverainement juste, fais de moi ce que tu veux !'" (Le Petit Livre de la Sagesse éternelle, § XIII).
Plus loin, la Sagesse éternelle dit encore :
"La souffrance embellit l’âme comme la douce rosée de mai embellit les roses.
[…] La souffrance est un châtiment d’amour, une correction paternelle réservée aux élus." (Le Petit Livre de la Sagesse éternelle, § XIII).
Ou encore :
"S’il le fallait, j’inventerais la souffrance plutôt que de laisser mes amis sans souffrance.
"Par elle, les vertus sont affermies, l’homme est grandi, le prochain édifié, Dieu glorifié.
"La patience dans les souffrances est un sacrifice en acte. Tel le parfum d’un baume pur, sa bonne odeur monte jusqu’à ma divine face. L’armée des cieux en est ravie d’admiration. Aucun chevalier, dans aucun tournoi, si habile qu’il s’y montre, n’est plus admiré de l’armée céleste que l’homme qui sait souffrir." (Le Petit Livre de la Sagesse éternelle, § XIII).
Il ne faut donc pas voir là un culte de la souffrance pour elle-même, mais la participation, par grâce, aux souffrances de la Passion qui élèvent l’âme et la transfigurent dans l’amour trinitaire.
La déification : l'union ineffable de Dieu et de l'âme est le thème de l'enseignement central de Maître Eckhart, le fondateur, avec Jean Tauler, du courant spirituel que l'on nomme la Mystique rhénane.
Selon la question, Eckhart cite fréquemment de nombreux auteurs dont : Platon, Aristote, Sénèque, Augustin (de loin l'auteur qu'il cite le plus souvent), Denys l'Aréopagite, Boèce, Bernard de Clairvaux, Thomas d'Aquin, Albert Le Grand, Avicenne, Averroès, et se déclare explicitement tributaire de l'une ou l'autre tradition philosophique.
La réception de Dieu en l'âme du croyant — âme libérée, évidée de tout même de l'image de Dieu lui-même, rejoint le thème patristique classique (glosant sur Jean 14, 23) nommé "inhabitation trinitaire" : la Trinité descend dans le fond de l'âme (où l'intellect joue un grand rôle) avec toutes ses propriétés. Ainsi, rendu à nouveau semblable à Dieu, l'homme connaît une déification, nommée théosis dans la tradition grecque. L'enfantement de Dieu dans l'âme, acmé de la vie chrétienne, est le fruit de la "divinisation" reçue de Dieu et par l'union à lui.
Mgr Jean-Joseph Gaume, explique la déification dans son Traité du Saint-Esprit :
"Tous les anges, ... avaient eu révélation du mystère de l'union hypostatique qui devait s'accomplir dans la nature humaine. ... Lucifer aura trouvé là l'occasion de son péché et de sa chute." (S. Thomas, 2°, qu. II, art. 7, corp. ,etc.; et p. I, q. XCIV, art. I, corp.)... En effet, suivant la doctrine commune des Pères, le démon a péché par envie contre l'homme; et il est plus probable qu'il a péché avant que l'homme fût créé." (Opusc, de gloria Beator., apud Vasquez, par I, q. LXIII, disp. 233, in Mgr Jean-Joseph GAUME, Traité du Saint-Esprit, 1864, Rééd. Éditions Saint-Rémi, 2019, p. 42.)
"L'incarnation, c'est tout le christianisme. Mais quel est le but de l'Incarnation ? Déjà, nous l'avons indiquer : c'est de déifier l'homme. Dieu ne s'en est pas caché. Ses paroles, vingt fois répétées, manifestent son conseil. "Je l'ai dit : vous êtes des dieux et tous fils du Très-Haut (Ps 81,6). On les appellera Fils du Dieu vivant (Osée 1,10). Soyez parfaits comme votre père céleste lui-même est parfait (Matthieu 5,48).
"L'homme connaît le conseil divin, il l'a toujours connu. ... Satan le sait aussi, et il prend l'homme par cet endroit. Mangez de ce fruit, et vous serez comme des dieux (Gn, III, 5) est la première parole qu'il lui adresse.
"... Aussi, saint Thomas remarque avec raison (2°, q. LXIII, art. 2) que le principal péché de nos premiers parents ne fut ni la désobéissance ni la gourmandise, mais bien le désir déréglé de devenir semblables à Dieu. La désobéissance et la gourmandise furent les moyens; l'ambition illégitime d'être comme des Dieux, le but final de leur prévarication. .... Vous serez comme des Dieux... Cette parole, Satan la répète constamment à leur postérité, et en obtient le même succès." (Mgr Jean-Joseph GAUME, Traité du Saint-Esprit, ibid., p. 54-55.)
"Tous les ministères des ordres angéliques se rapportent à la gloire de Dieu et à la déification de l'homme, en d'autres termes, au gouvernement de la cité du bien." (Mgr Jean-Joseph GAUME, Traité du Saint-Esprit, p. 113.)
"Ouvrage d'un Dieu infiniment bon, tout être est créé pour le bonheur. Le bonheur de l'être consiste dans son union avec la fin pour laquelle il a été créé. Tous les êtres ayant été créés par Dieu et pour Dieu, leur bonheur consiste dans leur union avec Dieu.
"... Lucifer, considérant la beauté, la noblesse, la dignité de sa nature et sa supériorité sur toutes les créatures, oublia la grâce de Dieu, à laquelle il était redevable de tout. Il méconnut, de plus, les moyens de parvenir à la félicité parfaite que Dieu réserve à ses amis. Enflé d'orgueil, il ambitionna cette félicité suprême, et le ciel des cieux, partage de la nature humaine qui devait être unie hypostatiquement au Fils de Dieu.
"C'est une vérité de l'ordre moral comme de l'ordre matériel que la cause du mal, de la honte et de la douleur, c'est le mélange, le dualisme, ou, pour dire le mot, l'im-pureté. De ces notions, fondées sur l'essence même des choses, il résulte que la sainteté (sans mélange) est le principe unique du bonheur. (Voir Mgr Jean-Joseph GAUME, Traité du Saint-Esprit, ibid., p. 36, 44 et p. 77.)
Autrement dit, les hommes qui suivent Satan veulent devenir semblables à Dieu non pas par les moyens divins, mais par des moyens déréglés, c'est-à-dire des moyens illégitimes (envie, désobéissance, gourmandise, orgueil de se sauver par ses propres forces). Ce qui laisse toujours l'homme malheureux, car alors il se trompe de route, de chemin; il n'emprunte pas la bonne voie pour se sauver et finit par se perdre. En effet, en hébreu, le verbe "pécher" signifie manquer son but, se tromper de cible... Pécher, c'est se tromper de bonheur qui est Dieu.
Dans le chemin de déification que nous propose le bienheureux Henri Suso, il s'agit moins de se décharger du poids de réalités contingentes extérieures que de cultiver et entretenir une intériorité. Ainsi disposé, l'esprit libre, le cœur humble, toute attente ou aspiration personnelle éteinte, l'intériorité insensible à toute turpitude, Dieu ne peut faire autrement que de s'y loger, comblant cette vacuité par la félicité ; "l'homme devenant par Grâce ce que Dieu est en nature." (Maxime le Confesseur). Autrement dit : Dieu s'est fait homme pour qu'à son tour l'homme soit, par la grâce, divinisé, fait Dieu, sans perdre pour autant son identité.
Ce thème mal connu dans l'Occident chrétien, est jugé parfois hétérodoxe, alors qu'il remonte, chez les Pères, à Irénée de Lyon, et se prolonge en de très grands spirituels tels que Nicolas de Cues qui a conservé en sa bibliothèque l'œuvre latine de Me Eckhart. Cet apparent empiètement sur la puissance divine et la suspension du mouvement spontané de la piété ont été les prétextes principaux des accusations d'hérésie, confortées par des énoncés dégagés de leur contexte de prédication, le tout amplifié par le goût de formules paradoxales. (Benoît Beyer de Ryke, Maître Eckhart, une mystique du détachement, Bruxelles, Ousia, 2000.)
"En réalité sa doctrine (celle de Maître Eckhart) (abstraction faite d'imprécisions et d'exagérations prêtant aux interprétations hérétiques) ne lui était pas personnelle, écrit Renée Zeller. C'était celle des premiers âges de l'Église, le Pseudo Denys l'avait rendue quasi populaire. Saint Bernard en avait vécu, un mystique du siècle précédent (XIIIe s.) l'avait synthétisée dans le petit livre 'De l'Union avec Dieu' et, au XIVe siècle, les hommes véritablement 'spirituels' n'en connaissaient pas d'autres.
Mais le Maître l'exprimait dans les paroles d'Henri Suso et dans sa vie d'une façon brillante. Suso "incarnait le type de ce qu'on appelait alors 'l'Ami de Dieu', du mystique qui ne voit que le Créateur dans la Création et ne veut s'attacher qu'à Lui." (Renée ZELLER, Le Bienheureux Henri Suso, Le Serviteur de l'éternelle Sagesse, Librairie de l'Art catholique, Protat Frères, Macon 1922, p. 77.)
Contre la tendance générale à l’abandon du monde, ou le risque inverse d'avilissement par conformisation au monde, Eckhart proclame et justifie théologiquement la possibilité de réintégrer l’identité métaphysique avec Dieu tout en restant dans le monde. "Vous n’appartenez pas au monde, puisque je vous ai choisis en vous prenant dans le monde." (Jn 15, 19) Le chrétien est de Dieu, mais dans le monde.
L’expérience mystique est vue comme le retour à la Divinité manifestée dans le Christ vivant en le cœur du croyant.
La vocation prédestinée de l’homme est d’être en Dieu.
Si le Père engendre le Fils dans l’éternité, Dieu engendre le Fils dans l'abime sans fond, l'abditus mentis d'Augustin, ou Grund en moyen-haut allemand, de l’âme.
Jeanne Ancelet-Hustache écrivait dans sa préface aux Œuvres complètes de Suso : "Sa richesse, son élan, la noblesse de la pensée et de l’expression, l’émotion qui vibre dans toutes les pages, surtout la qualité de l’âme qui s’y exprime, en font une des plus belles œuvres non seulement de la mystique allemande, mais de toute la littérature mystique." (4)
"Celui qui désire une grande récompense et son salut éternel, une haute science et une profonde sagesse, celui qui veut garder l'égalité d'âme dans la joie et la souffrance, être assuré contre tout mal et goûter au breuvage de vos amères souffrances comme de votre douceur ineffable, celui-là doit, Jésus crucifié, vous porter en tout temps devant les yeux de son cœur."
(Le Petit Livre de la Sagesse éternelle, § XIV).
"Enfants de Dieu et mes très chères filles !
"En tout temps, autant que vous pouvez et savez le faire, mettez le joyau d'or Jésus-Christ, fils de Dieu et de la Vierge, sur votre cœur, afin qu'aucune créature ne puisse vous le dérober ni vous le prendre, et tenez-le devant les yeux de votre intelligence comme un clair et pur miroir où vous devez vous regarder pour savoir si vous ressemblez ou non à son image. Sa Passion est le trésor de ses pauvres. Oh! que de richesses sont données ici à plus d'un!
"... C'est là que doit être le but de notre course, heureux celui qui l'atteint !
"... Et lorsque nous ne pouvons rien d'autre, gravons son image dans notre cœur.
"Ayons son doux et tendre nom dans notre bouche et pensons si intensément à lui le jour que nous en rêvions la nui."
(Le Grand Livre des Lettres, XXVIII.)
Le Bienheureux Henri Suso nous invite à voir Dieu dans ses œuvres et sa Création
"Vois l'être divin dont il est parlé est une substance tellement spirituelle que l'œil mortel ne peut la contempler en soi (Ex XXXIII, 20; S. Th., I qu. 12, art. 11), mais on peut le voir dans ses œuvres, de même qu'on reconnaît un bon maître à son œuvre, comme le dit Paul : 'Les créatures sont un miroir dans lequel Dieu se reflète. (Rom I, 20).'
Demeurons là un instant, et que notre spéculation s'applique au sublime et digne maître dans ses œuvres ! Regarde au-dessus de toi et autour de toi..." (La Vie, L)
(Le Bienheureux Henri SUSO, Œuvres traduites par Jeanne ANCELET-HUSTACHE, Les Maîtres de la Spiritualité chrétienne, Textes et études, Aubier, Paris 1943, p. 245-246)
La Sainte Trinité, chez le Bienheureux Henri Suso
"Écoute : un sage maître dit que Dieu, considéré selon sa divinité, est comme un très vaste cercle dont le centre est partout et la circonférence nulle part.
"Considère maintenant en imagination quelqu'un qui jette avec force une lourde pierre au milieu d'un eau tranquille; un cercle se forme dans l'eau et, par sa propre force, ce cercle en produit un autre, et celui-là un autre, et les cercles sont vastes et larges selon la puissance du premier jet; la puissance du jet pourrait être si grande qu'elle couvrirait toute l'eau.
"Vois sous l'image du premier cercle la puissance active de la nature divine dans le Père, qui est infinie; celle-ci, semblable à elle-même, engendre un autre cercle selon la personne, et c'est le Fils, et ces deux Personnes produisent la troisième, et c'est l'Esprit tout-puissant. Voilà ce que représentent les trois cercles : Père, Fils, Saint-Esprit."
(La Vie, L III, dans Le Bienheureux Henri SUSO, Œuvres traduites par Jeanne ANCELET-HUSTACHE, Les Maîtres de la Spiritualité chrétienne, Textes et études, Aubier, Paris 1943, p. 268.)
"Cet Un unique a trop d'opérations et trop de diversité, ou bien comment se peut-il faire qu'il soit Un et absolument simple avec tant de multiplicité ?
"[...] Tout cette multiplicité est sans fond et sa base une simple unité (mêmes expressions chez Eckhart). [...] J'appelle fond la source et l'origine qui produit les diffusions. [...] C'est la nature et l'essence de la divinité; et dans cet abîme sans fond, la Trinité des Personnes reflue dans son unité, et là, toute multiplicité est en quelque sorte supprimée.
"[...] Qu'est-ce donc qui lui donne la première impulsion de son opération ?
"[...] C'est sa force et sa puissance.
"[...] C'est la nature divine dans le Père."
(Le Livre de la Vérité II, dans dans Le Bienheureux Henri SUSO, Œuvres traduites par Jeanne ANCELET-HUSTACHE, ibid., p. 279.)
"Dieu est lumière. Le Père donne une lumière immense, majestueuse et paisible. Un cercle infini qui embrasse toute la création, de l’instant où il fut dit: "Que la lumière soit", jusqu’aux siècles des siècles, puisque Dieu, qui existait de toute éternité, embrasse la création, depuis qu’elle est, et il continuera à embrasser ce qui, dans sa forme ultime, l’éternelle, après le jugement, restera de la création. Il embrassera ceux qui sont éternels avec lui dans le Ciel.
"À l’intérieur du cercle éternel du Père, il y a un deuxième cercle, engendré par le Père, qui opéra différemment, mais non de façon contraire, car l’Essence est une. C’est le Fils. Sa lumière, plus vibrante, ne donne pas seulement la vie aux corps, mais donne la vie aux âmes à travers son Sacrifice, vie qu’elles avaient perdue.
"À l’intérieur du deuxième cercle, produit par les deux opérations des premiers cercles, il y a un troisième cercle à la lumière encore plus vive et plus vibrante. C’est l’Esprit Saint. C’est l’Amour que produisent les rapports du Père avec le Fils, intermédiaire entre les Deux et conséquence des Deux, merveille des merveilles." (La Sainte Trinité, Principes chrétiens, Livre 1, adapté de "Les Cahiers de 1943", approuvé par le Pape Pie XII).
Postérité
L'influence de Suso dépasse bientôt les limites de son pays.
En 1389, soit seulement un peu plus de vingt ans après la mort de Suso, l'Horologium attribué à un certain frère Jean de Souhaude ou Soushaube "a grand fruit et a pou de peine mis de latin en françois sous le titre : l'Orloge de Sapience."
Dès 1483, les oeuvres de Suso furent imprimées à Augsbourg.
Dès le XVe siècle, des extraits de l'Horologium sont traduits en anglais, et en danois.
Une autre traduction est faite en suédois en 1500.
Au XVIe siècle, saint Pierre Canisius (1521-15797), originaire de Nimègue, étudiant à Cologne, vigoureux promoteur de la Contre-Réforme dans les pays de langue allemande pendant cinquante ans, publie en 1543 une nouvelle édition de Tauler pour laquelle il écrit une préface où il cite Suso à plusieurs reprises.
La pensée du Bx Henri Suso sur la voie unitive par la souffrance et le détachement rejoint celle de Saint Jean de la Croix au XVIe siècle, chez qui on pourra également voir l'influence de Jean Tauler. S. Jean de la Croix affirmera que le seul chemin qui mène à Dieu est celui du rien : "Pour arriver à tout savoir, veillez à ne posséder quoi que ce soit (...) Pour arriver à être tout, veillez à n'être rien de rien (...) car pour venir du tout au tout, il faut se renoncer du tout au tout...'' (La Montée du Carmel, p. 86.) Jean de la Croix affirmera que l'union à Dieu doit passer par une purification douloureuse. Dans son commentaire du Cantique spirituel, il écrit : ''Souffrir est le moyen par excellence pour aller plus avant dans la délectable et profonde sagesse de Dieu'' ; critiquant ceux qui refusent la souffrance, il dit : ''Ô Vérité méconnue, quand pourra-t-on faire comprendre que la profondeur de ta Sagesse et des richesses infinies de Dieu est inaccessible à ceux qui repoussent les souffrances, à ceux qui ne désirent pas, et n'y trouvent pas la consolation de leur âme'' (Marie-Eugène de l'Enfant-Jésus, Jean de la Croix : Présence de lumière, Venasque, Éditions du Carmel, 1991, p. 129)
En Allemagne, son pays d'origine, le lycée de Constance fondé en 1604 porte son nom, de même qu'une église consacrée en 1956 à Ulm, appelée Sainte-Marie-Suso.
Une société des amis d'Henri Suso a également été formée en 2007 à Überlingen.
"La postérité l'appellera 'der schwäbische Franz' - le François d'Assise souabe." (Le Petit Livre de la vérité, Broché, 2002)
La richesse de l’œuvre de Suso ne fut pas seulement pour son siècle. On peut dire qu’elle traverse les siècles, et parle à nos contemporains qui peuvent y trouver, s’ils écoutent d’une oreille attentive, des paroles de vie et d’amour transfigurant.
Suso est une figure pour notre temps : là où il y a de l’attachement, il nous apprend à nous détacher; là où il y a de l’angoisse, de la peur, il nous apprend à abandonner, là où il y a de la souffrance, il nous apprend à offrir et à faire confiance en la miséricorde infinie de Dieu.
L’homme moderne si plein de choses qui l’encombrent, le jettent au-dehors de lui-même, a tout à "gagner" s’il apprend à tout "perdre", s’il suit le chemin d’humilité que Suso lui prépare avec ce Petit livre de la Sagesse éternelle, comme avant lui, saint Jean-Baptiste a préparé le chemin du Seigneur, aplani ses sentiers.
Et l’on entend alors la Sagesse éternelle nous dire au creux de l’âme : "Entrez par la Porte étroite. Je suis le chemin. Nul ne vient à moi si mon Père ne l’habite". (5)
À Ulm en Souabe, l'an 1366, le bienheureux Henri Seuze, prêtre de l'Ordre des Prêcheurs qui supporta avec patience des désagréments et des peines sans nombre, composa un traité sur la Sagesse éternelle et prêcha continuellement le nom de Jésus.
Martyrologe romain
Sources :
(1) Renée ZELLER, Le Bienheureux Henri Suso ( † 1366), Le Serviteur de l'éternelle Sagesse, Librairie de l'Art catholique, Protat Frères, Macon 1922, p. IX
(2) Benoît Lavaud, O.P., Henri Suso, La Passion de l'éternelle sagesse, Les cent méditations, Le Livret d'Amour, Les Cahiers du Rhône, Neuchatel 1943, p. 7
(3) Renée ZELLER, Le Bienheureux Henri Suso, Le Serviteur de l'éternelle Sagesse, ibid., p. 59
(4) Le Bienheureux Henri SUSO, Oeuvres traduites par Jeanne ANCELET-HUSTACHE, Les Maîtres de la Spiritualité chrétienne, Textes et études, Aubier, Paris 1943, p. 78
(5) http://www.actu-philosophia.com/Henri-Suso-le-petit-livre-de-la-sagesse-eternelle/
(6) Wikipedia
(7) Nominis