Trois réactions ce soir après la suppression hier, premier dimanche de Carême, de la messe dans nombre de paroisses :
Editoriaux - Religion - 2 mars 2020
Seigneur, délivrez-nous de l’épidémie de nos lâchetés ! Abbé Matthieu Raffray
Dans la frénésie actuelle, nos évêque français font du zèle : sans que personne ne leur demande rien, ils ferment leurs églises, suppriment les messes dominicales (au moins dans le diocèse de Beauvais), interdisent la communion sur les lèvres (quelle aubaine, depuis le temps !)… que chacun reste chez soi, il ne faudrait pas être accusé de collaboration avec le méchant virus.
Permettez-moi, comme théologien, comme prêtre, et avec beaucoup de catholiques, de regretter une telle pusillanimité, ou même une telle compromission. Quand on pense que le brave catholique qui n’aura pas pu assister à sa messe du dimanche chopera le satané virus au supermarché, dans un bus bondé ou dans la salle d’attente du médecin, on se dit qu’il aurait peut-être mieux valu qu’il puisse faire ses dévotions, demander pardon pour ses péchés, mettre un cierge à saint Roch, que sais-je, peut-être même recevoir la sainte communion ! Surtout si, par malheur, le virus devait l’emmener directement devant son Juge, aux portes de l’éternité…
On dira que je manque de prudence, de précaution, de sagesse épiscopale… Mais il me semble qu’à une autre époque, peut-être pas si lointaine et, en tout cas, beaucoup plus noble, l’évêque de Beauvais serait sorti de sa cathédrale en procession, portant lui-même les reliques du grand saint Éloi et accompagné du chapitre des chanoines au grand complet, d’une foule d’enfants de chœur et de tous les paroissiens réunis, en chantant des cantiques et des psaumes pénitentiels à travers la ville, revêtu d’une chape violette en signe de pénitence, pour demander à Dieu sa miséricorde et sa protection, pour implorer l’aide de la Vierge Marie et de tous les saints protecteurs de ce diocèse fondé au IIIe siècle… Alors, une foule se serait jointe spontanément à la procession et on l’aurait fait durer jusqu’à la nuit, par l’adoration du Saint-Sacrement dans la cathédrale, portes grandes ouvertes, au son du glas et à grand renfort d’encens. Les jeunes eux-mêmes seraient entrés dans l’église incrédules, en ricanant peut-être, et ils en seraient ressortis bouleversés, comprenant que lorsque c’est la vie qui est en jeu, alors on se doit de préparer son éternité, et qu’en ce domaine, les prêtres dont on se moque si souvent peuvent bien être, pour une fois, utiles à quelque chose…
On aurait alors instauré une prière spéciale, par décret spécial de Monseigneur l’évêque (avec son sceau aux armes épiscopales, et non avec un logo ridicule payé on ne sait combien à une officine parisienne), on aurait fait célébrer des messes « pro vitanda mortalitate vel tempore pestilentiae » par tous les prêtres de la région, on aurait fait prêcher sur la pénitence et sur les fins dernières, sur la nécessité de se convertir, c’est-à-dire de se tourner vers Dieu lorsque les choses nous échappent, comme c’est souvent (pour ne pas dire toujours) le cas, surtout face à une épidémie. On aurait fait un boulot d’hommes de Dieu, en somme, et non un travail de prudent pisse-copie provincial…
Abbé Matthieu Raffray
Prêtre, professeur de philosophie & de théologie
Source : https://www.bvoltaire.fr/seigneur-delivrez-nous-de-lepidemie-de-nos-lachetes/
Le vide laissé par la laïcité laissera-t-il la place au vide de nos églises ? C'est en substance ce que regrette Andrea Riccardi dans La Vie :
Coronavirus : “Non, ne fermons pas nos églises !“
Publié le 01/03/2020 Andrea Riccardi dans « La Vie »
Non à la propagation de « l’épidémie de la peur » ! Alors que les autorités civiles exigent la suspension des messes dans certaines régions d’Italie et de France pour lutter contre le coronavirus Covid-19, Andrea Riccardi proteste. Fondateur de la communauté de Sant’Egidio mais aussi historien du christianisme, il rappelle que les catholiques n’ont jamais cessé de se rassembler, même pendant la peste de Milan et sous les bombes de la Seconde Guerre mondiale.
Les nombreuses églises fermées dans le nord de l’Italie, la suspension des messes, les obsèques célébrées en présence des seuls proches et d’autres mesures de ce genre m’ont laissé une certaine amertume. Je ne suis pas épidémiologiste, mais nous trouvons-nous vraiment face à des risques si grands qu’il faille renoncer à notre vie religieuse communautaire ?
La prudence est de mise, mais sans doute nous sommes-nous laissé prendre la main par le grand protagoniste de l’époque : la peur. Par ailleurs, commerces, supermarchés et bars sont en partie ouverts, tandis que bus et métros fonctionnent. Et à juste titre. Quant aux églises, elles ont été quasiment traitées à l’égal des théâtres et des cinémas, contraints à la fermeture. Elles peuvent rester ouvertes, mais sans prière commune.
Quel danger représentent les messes de semaine auxquelles participent une poignée de personnes, éparpillées sur les bancs dans des édifices de grande capacité ? Moins qu’un bar, que le métro ou le supermarché. Ce n’est qu’en Émilie que les messes de semaine ont été autorisées. Un signe fort de peur. Mais aussi l’expression de l’alignement de l’Église sur les institutions civiles.
Les églises ne sont pas seulement un « rassemblement » à risque, mais aussi un lieu de l’esprit : une ressource en des temps difficiles, qui suscite de l’espérance, qui console et qui rappelle qu’on ne se sauve pas seul. Je ne voudrais pas remonter à Charles Borromée, en 1576-77, l’époque de la peste à Milan (épidémie bien plus grave que le coronavirus et combattue alors à mains nues), mais en ce temps-là on visitait les malades, on priait avec le peuple et on faisait une procession pieds nus et en nombre pour la fin du fléau.
Assurément, la prière commune dans l’église nourrit l’espérance et la solidarité. On sait combien des motivations, fortes et spirituelles, aident à résister à la maladie : c’est l’expérience commune. Le sociologue américain Rodney Stark, écrivant au sujet de l’ascèse du christianisme dans les premiers siècles, note combien le comportement des chrétiens dans les épidémies était décisif : ceux-ci ne fuyaient pas comme les païens à l’extérieur des villes et ne s’en allaient pas comme les autres, mais, motivés par leur foi, se rendaient des visites et se soutenaient, priaient ensemble, ensevelissaient les morts. Si bien que leur taux de survie fut plus élevé que celui des païens en raison de l’assistance consciencieuse, pourtant sans médicaments, et en raison du lien communautaire et social.
Les temps changent, mais les récentes mesures sur le coronavirus semblent banaliser l’espace de l’Église, révélant la mentalité des gouvernants. Face à la « grande peur », seul parle le message de la politique, unique et incertaine protagoniste de ces jours. Le silence dans les églises (même si elles sont ouvertes) est un peu un vide dans la société : le fait de se retrouver librement ensemble dans la prière aurait constitué un tout autre message, même si la prudence et le contrôle de soi sont de mise. Médias sociaux, radio et télévision ne le remplacent pas.
Source: Andrea Riccardi, La Vie / Le Forum catholique
Après avoir rappelé l'exemple du pape saint Grégoire le Grand durant l'épidémie de peste à Rome en 590, on peut également évoquer l'épidémie de peste à Mexico en 1737 où Notre-Dame de Guadalupe joua un rôle de protection des Mexicains qui vinrent se réfugier sur la colline du Tepeyac, ce qui valut à la Vierge d'être reconnue comme patronne de Mexico la même année et de tout le Mexique en 1746. (François BRUNE, La Vierge du Mexique, ou le miracle le plus spectaculaire de Marie, Le Jardin des Livres, Référence, Paris 2008, pp. 111-112 et 138.)
On peut également rappeler une terrible épidémie de choléra qui fera plus de 20 000 morts à Paris en 1832. En juin 1832, les premières "médailles miraculeuses" réalisées par l’orfèvre Vachette étaient distribuées par les Filles de la Charité. Aussitôt guérisons, conversions, protections se multiplièrent. Ce fut un raz-de-marée. Le peuple de Paris appela la médaille de l’Immaculée la "médaille miraculeuse". (Chapelle Notre-Dame de la Médaille Miraculeuse).
Enfin, dernière réaction, ce soir, et non des moindres, celle d'un évêque, Mgr Pascal ROLAND, évêque de Belley-Ars :
Epidémie du coronavirus ou épidémie de peur ?
Plus que l’épidémie du coronavirus, nous devons craindre l’épidémie de la peur ! Pour ma part, je me refuse de céder à la panique collective et de m’assujettir au principe de précaution qui semble mouvoir les institutions civiles.
Je n’entends donc pas édicter de consignes particulières pour mon diocèse : les chrétiens vont-ils cesser de se rassembler pour prier ? Vont-ils renoncer à fréquenter et à secourir leurs semblables ? Hormis les mesures de prudence élémentaire que chacun prend spontanément pour ne pas contaminer les autres lorsqu’il est malade, il n’est pas opportun d’en rajouter.
Nous devrions plutôt nous souvenir que dans des situations bien plus graves, celles des grandes pestes, et alors que les moyens sanitaires n’étaient pas ceux d’aujourd’hui, les populations chrétiennes se sont illustrées par des démarches de prière collective, ainsi que par le secours aux malades, l’assistance aux mourants et la sépulture des défunts. Bref, les disciples du Christ ne se sont ni détournés de Dieu ni dérobés au semblable. Bien au contraire !
La panique collective à laquelle nous assistons aujourd’hui n’est-elle pas révélatrice de notre rapport faussé à la réalité de la mort ? Ne manifeste-elle pas les effets anxiogènes de la perte de Dieu ? Nous voulons nous cacher que nous sommes mortels et, nous étant fermés à la dimension spirituelle de notre être, nous perdons pied. Parce que nous disposons de techniques de plus en plus élaborées et plus performantes, nous prétendons tout maîtriser et nous occultons que nous ne sommes pas les maîtres de la vie !
Au passage, notons que l’occurrence de cette épidémie au moment des débats sur les lois de bioéthique nous rappelle fort heureusement notre fragilité humaine ! Et cette crise mondiale présente au moins l’avantage de nous rappeler que nous habitons une maison commune, que nous sommes tous vulnérables et interdépendants, et qu’il est plus urgent de coopérer que de fermer nos frontières !
Et puis nous semblons tous avoir perdu la tête ! En tous cas nous vivons dans le mensonge. Pourquoi focaliser soudainement notre attention sur le seul coronavirus ? Pourquoi nous cacher que chaque année, en France, la banale grippe saisonnière fait entre 2 à 6 millions de malades et provoque environ 8.000 décès ? Nous semblons avoir également évacué de notre mémoire collective le fait que l’alcool est responsable de 41.000 décès par an, tandis qu’on estime à 73.000 ceux qui sont attribués au tabac !
Loin de moi donc, l’idée de prescrire la fermeture des églises, la suppression de messes, l’abandon du geste de paix lors de l’Eucharistie, l’imposition de tel ou tel mode de communion réputé plus hygiénique (ceci dit, chacun pourra toujours faire comme il voudra !), car une église n’est pas un lieu à risque, mais un lieu de salut. C’est un espace où l’on accueille celui qui est la Vie, Jésus-Christ, et où par lui, avec lui et en lui, on apprend ensemble à être des vivants. Une église doit demeurer ce qu’elle est : un lieu d’espérance !
Faut-il se calfeutrer chez soi ? Faut-il dévaliser le supermarché du quartier et constituer des réserves afin de se préparer à tenir un siège ? Non ! Car un chrétien ne craint pas la mort. Il n’ignore pas qu’il est mortel, mais il sait en qui il a mis sa confiance. Il croit en Jésus qui lui affirme : « Moi, je suis la résurrection et la vie. Celui qui croit en moi, même s’il meurt, vivra ; quiconque vite et croit en moi ne mourra jamais » (Jean 11, 25-26). Il se sait habité et animé par « l’Esprit de celui qui a ressuscité Jésus d’entre les morts » (Romains 8, 11).
Et puis un chrétien ne s’appartient pas à lui-même, sa vie est donnée, car il suit Jésus, qui enseigne : « Celui qui veut sauver sa vie la perdra ; mais celui qui perdra sa vie à cause de moi et de l’Evangile la sauvera » (Marc 8, 35). Il ne s’expose certes pas indûment, mais il ne cherche pas non plus à se préserver. A la suite de son Maître et Seigneur crucifié, il apprend à se donner généreusement au service de ses frères les plus fragiles, dans la perspective de la vie éternelle.
Alors, ne cédons pas à l’épidémie de la peur ! Ne soyons pas des morts-vivants ! Comme dirait le pape François : ne vous laissez pas voler votre espérance !
+ Pascal ROLAND
Les prochains rassemblements prévus dans le diocèse (haltes spirituelles le 10 mars à Ambérieu et le 14 à Oyonnax, Journée du Pardon le 28 mars...) sont donc maintenus.
Source: Mgr Pascal ROLAND, L'Église dans les Pays de l'Ain
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Add. 23h20. Sur le site "Aleteia" :
Même son de cloche chez Mgr Bernard Ginoux, évêque de Montauban, pour qui « interdire les gens à communier directement sur la langue, alors qu’il n’y a aucune preuve que ce soit plus hygiénique dans la main, c’est absurde ». « Je me refuse à ce que des mesures soient appliquée à l’Église catholique, alors qu’elles ne sont pas appliquées à d’autres structures, comme les supermarchés et les cinémas », assure-t-il à Aleteia. Il a donc transmis les recommandations du ministère de l’Intérieur, sans donner la moindre consigne aux prêtres de son diocèse.
En Italie, des églises à nouveau ouvertes
En Italie, le patriarche de Venise, l’archevêque de Milan et celui de Turin avaient suspendu les messes dès le 25 février. Ce dimanche 1er mars, elles ont repris à Turin, où Mgr Nosiglia implore de « revenir à la normale », d’après des propos relayés par le quotidien La Stampa. Il regrette que les offices religieux puissent être considérés comme « superflus », et qu’ils et soient « non exemptés de mesures restrictives ». À Milan, la célèbre cathédrale a rouvert ses portes aux touristes ce lundi. Dès mercredi, l’église Saint-Louis des Français de Rome sera de nouveau accessible au public. Elle avait été fermée ce week-end après que l’un de ses prêtres rentré en France ait été testé positif.
Source: https://fr.aleteia.org/2020/03/02/coronavirus-les-fideles-partages-sur-les-mesures-a-adopter/