Dans un entretien avec Ross Douthat pour The New York Times du 9 novembre, le Cardinal Burke a expliqué qu'on était « entré dans une vision très politique de la papauté où le pape est une sorte de monarque absolu qui peut faire ce qu'il veut ». Or, « cela n'a jamais été le cas dans l'Église. »
Dans cet entretien, évoquant tout d'abord la question liturgique, le cardinal dit avoir « grandi avec ce qu'on appelle aujourd'hui la forme extraordinaire du rite romain, la messe qui existait jusqu'à la réforme après le Concile Vatican II. Et j'ai beaucoup apprécié la beauté de ce rite. C'est pourquoi, lorsque Jean-Paul II a permis sa célébration, je me suis intéressé à la question. J'ai toujours célébré les deux formes. Les gens disent que je parle contre la forme ordinaire de la messe. Ce n'est pas vrai, je parle contre une façon de célébrer la forme ordinaire qui n'est pas véritablement transcendante. »
« En tant que personne ayant vécu la transition à travers le Concile Vatican II et après », le cardinal a remarqué que « cette euphorie (de savoir si « l'église pré-Vatican II était trop étouffante, légaliste, et rigide ») s'est installée pendant et après le concile. Soudainement, nous étions tous libres. La discipline du séminaire était considérée comme périmée, et toute forme de contrôle sur la volonté de l'individu était considérée comme négative. Mais en regardant maintenant en arrière, je vois toutes ces règles comme visant à freiner les effets du péché originel, et à nous discipliner pour que nous puissions vraiment être de bons hommes. Et cela marchait. Mais en 1968, le règlement du séminaire a été rejeté, et il s'ensuivit le chaos. Et nous savons, par exemple, que beaucoup d'abus sexuels de mineurs ont eu lieu à cette époque, où il y avait cette idée que toute tendance que vous aviez, parce que c'est votre tendance, c'était bien. Et bien, ce n'est pas vrai. »
Mais, « il est clair pour moi, précise le cardinal, que la corruption remonte à plusieurs décennies (auparavant) : tel est le cas lorsque nous voyons des cas notoires de prélats qui ont maltraité des mineurs dans les années 1940. Mais dans ces situations-là, ils ne suivaient pas la règle du droit canonique. Les gens commettaient des actes gravement contraires à la règle et d'une façon ou d'une autre, ils fermaient les yeux. Ce n'était pas alors la faute de la règle. C'était la faute des hommes qui devaient l'appliquer.
« Il est clair que le Christ a constitué l'Église comme une communion hiérarchique. Son ministère public a immédiatement pris 12 hommes à part et les a préparés. Ils n'étaient pas tous des anges non plus, comme nous le savons. Mais il y a toujours une tentation d'infidélité à la charge pastorale, de permettre des choses mauvaises quand il s'agit d'un ami. C'est cela le "cléricalisme". Le cléricalisme n'a rien à voir avec le fait de s'intéresser à la liturgie ou de vouloir porter une soutane. Non, le cléricalisme est l'abus de la charge de clerc à des fins pécheresses. Donc, oui, il doit y avoir des contrôles et ils existaient déjà dans le Code de droit canonique de 1917. Jusqu'aux réformes du Concile Vatican II, il y avait toute une série de rites pour la dégradation d'un clerc qui trahissait la sainteté de son office.
Certains d'entre ces rites sont très vifs. « Par exemple, s'il s'agissait d'un archevêque ou d'un évêque, ils l'habilleraient de tous ses vêtements et les lui enlevaient un par un, avec ces déclarations très sévères, puis à la fin, ils gratteraient les mains qui avaient été jointes à l'ordination avec un couteau pour signifier que cette personne a complètement trahi la charge.
La conversation avec Ross Douthat s'est ensuite orientée vers l'ère de François, dans laquelle l'« euphorie » est sans doute réapparue, alors que les controverses que Jean-Paul II avait tenté de fermer — sur le divorce et le remariage, l'intercommunion avec les protestants, les prêtres mariés — furent rouvertes par le nouveau pontife.
« Il serait peut-être bon de commencer par le Synode des évêques de 2014 sur le mariage et la famille, explique le cardinal Burke. J'étais encore préfet de la Signature apostolique. Et j'ai parlé fortement en faveur de la discipline traditionnelle de l'Église en ce qui concerne le mariage et le divorce. »
Douthat a résumé ainsi la situation : « C'était un synode appelé par le Pape François, où la controverse fondamentale était de savoir si les catholiques divorcés et 'remariés' devaient être autorisés à recevoir la communion sans annulation. »
« Oui — on nous a dit à maintes reprises que ce n'était pas de cela dont il s'agissait, a répondu le cardinal, mais en fin de compte, c'est de cela qu'il s'agissait. Et il s'agissait de repenser l'enseignement de l'Église sur la sexualité humaine, avec des discussions sur la recherche des bons éléments dans les actes génitaux entre les personnes du même sexe, les bons éléments dans les rapports sexuels en dehors des liens du mariage. Pendant l'une des pauses, le cardinal Caffarra [Carlo Caffarra, feu l'archevêque de Bologne], qui était un ami cher à moi, est venu me voir et m'a demandé ce qui se passait ? Il a dit que ceux d'entre nous qui défendaient l'enseignement et la discipline de l'Église étaient soudainement appelés les ennemis du pape. Et c'est un symbole de ce qui s'est passé. Tout au long de mon sacerdoce, on m'a toujours reproché d'être trop attentif à ce que disait le pape. Et maintenant je me retrouve dans une situation où on m'appelle l'ennemi du pape, ce que je ne suis pas. »
« Je n'ai pas changé. J'enseigne toujours les mêmes choses que j'ai toujours enseignées et ce ne sont pas mes idées. Mais tout à coup, cela est perçu comme étant contraire au pontife romain. Et je pense qu'on est entré ici dans une vision très politique de la papauté, où le pape est une sorte de monarque absolu qui peut faire ce qu'il veut. Cela n'a jamais été le cas dans l'Église. Le pape n'est pas un révolutionnaire, élu pour changer l'enseignement de l'Église. Et une grande partie de la vision laïque est que les gens voient ainsi l'Église, mais ne comprennent pas sa réalité profonde.
« Et ce n'est pas simplement une vue 'laïque', relève Ross Douthat. »
« Oh, non. C'est à l'intérieur même du corps de l'Église. Pas de doute. Je l'ai entendu des cardinaux lors du synode de 2014.
« Avez-vous un exemple », demande Douthat ?
« Et bien, on nous a dit que ce que nous devions réaliser, c'était que le mariage était un idéal que tout le monde ne pouvait atteindre et que nous devions donc accommoder l'enseignement de l'Église aux gens qui ne pouvaient tout simplement pas vivre leurs promesses de mariage. Mais le mariage n'est pas un "idéal". Le mariage est une grâce, et quand un couple échange des vœux, ils reçoivent la grâce de vivre un lien fidèle à la vie procréative.
[Note du Blog Christ-Roi. Nous nous rappellerons ici le conseil avisé que donna au pape le cardinal Jean de Saint-Paul, évêque de Sabina-Poggio Mirteto, ambassadeur du Vatican, réputé pour ses connaissances médicales, lorsqu'il défendit Saint François d'Assise venu se présenter devant le pape au palais de Latran : "Ce pauvre nous demande d'approuver un genre de vie conforme aux conseils évangéliques. Si nous rejetons ses projets comme trop difficiles et comme une nouveauté, nous nous exposons à agir contre l'Évangile du Seigneur. Car soutenir que l'observance des conseils et le voeu qu'on en fait sont quelque chose de nouveau ou de contraire à la raison, c'est blasphémer ouvertement contre Jésus-Christ, auteur de l'Évangile." Innocent III écouta S. François. Il prit "le temps du discernement", puis lui offrit "son assentiment" assorti de sa bénédiction et de quelques recommandations. Dans son sommeil, il aurait vu un homme de petite taille, et misérablement vêtu, ressemblant à ce pauvre d'Assise qu'il avait reçu dans la journée, soutenir avec son dos la basilique pontificale Saint-Jean-de-Latran, en train de s'écrouler. Innocent III ratifia la vie des Frères, leur accorda licence de prêcher la pénitence avec la seule condition d'avoir obtenu préalablement l'accord de S. François, reconnu ainsi comme "ministre" de la communauté.]
« Même la personne la plus faible, la plus mal formée, reçoit la grâce de vivre fidèlement l'alliance du mariage, poursuit le cardinal Burke. Dans mon expérience pastorale, j'ai rencontré des gens dans toutes sortes de situations, et insister sur la vérité de la situation, ce n'est pas facile. Mais j'ai découvert qu'en fin de compte, les gens sont vraiment reconnaissants pour cela. J'ai vécu assez longtemps pour avoir même eu des gens qui s'opposèrent très fortement à moi, et qui des années plus tard, m'écrirent en me disant qu'ils avaient finalement compris ce que je faisais. Ces choses sont naturelles, mais je ne pense pas que l'Église serve jamais sa mission en faisant des compromis avec le monde. »
Sur document final du Synode en Amazonie, le cardinal indique que : « bien que le document final soit moins explicite dans l'adhésion au panthéisme, il ne rejette pas les déclarations du document de travail qui constituent une apostasie de la foi catholique.
« Le document de travail n'a pas de valeur doctrinale. Et si le pape devait apposer son cachet au document, les gens diraient que si vous ne l'acceptiez pas, vous seriez dans le schisme - et je maintiens que je ne serais pas dans le schisme parce que le document contiendrait des éléments qui renieraient la tradition apostolique. Ce que je veux donc dire, c'est que le document est schismatique. Je ne le suis pas.
À la question de Ross Douthat qui s'étonne de cette assertion, « mais comment cela est-il possible ? Vous êtes effectivement en train de dire que le pape conduirait un schisme ? », le Cardinal répond : « Oui. »
« N'est-ce pas là une profonde contradiction dans ce que les catholiques pensent de l'office papal », demande Douthat ?
« Bien sûr que oui. Exactement. C'est une contradiction totale. Et je prie pour que cela n'arrive pas, répond le Cardinal. Et pour être honnête avec vous, je ne sais pas comment faire face à une telle situation. D'après ce que je peux voir, il n'y a aucun mécanisme dans la loi universelle de l'Église pour faire face à une telle situation.
« Pouvez-vous imaginer une situation qui justifierait l'équivalent de ce que Mgr Marcel Lefebvre a fait dans les années 1970, lorsqu'en tant que leader d'une communauté de catholiques traditionalistes, il a consacré ses propres évêques en défi à Rome », demande Douthat ?
Pour le Cardinal, « le schisme ne peut jamais être la volonté du Christ. Le Christ ne peut jamais vouloir une division dans son corps. Les gens viennent me voir et me disent : Écoutez, cardinal, il est temps qu'on entre dans le schisme. Et je dis non, ce n'est pas possible. Notre Seigneur ne peut pas vouloir cela, et je ne ferai pas partie d'un schisme ».
Interrogé sur le fait de savoir si cela affecte sa foi, le Cardinal répond : « J'ai la foi en notre Seigneur. Il a dit, je suis toujours avec vous jusqu'à la fin des temps. Et cela ne met pas ma foi à l'épreuve. Cela m'inquiète au sujet de ma propre sagesse et de mon courage pour faire face à une telle situation. Et pour le meilleur ou pour le pire, je suis un cardinal de l'Église, avec une lourde responsabilité.
« […] L'Église est toujours gouvernée par la tradition vivante, qui est une question de grâce, de grâce divine dans l'Église.
« J'espère donc que d'une manière ou d'une autre le Seigneur apportera à tout cela une bonne conclusion.
« Mais je pense qu'il y a beaucoup de souffrance à endurer prochainement.
« Pour ma part, je voudrais simplement pouvoir dire, avec saint Paul, que j'ai combattu le bon combat, j'ai gardé le cap, j'ai gardé la foi. Et peu m'importe si les gens disent, et bien, c'est juste un vieil homme qui n'était plus en contact avec le monde et c'est triste, il a fait tout ce tapage, maintenant c'est fini et on passe à autre chose.
« Je sais que je dois rendre compte à notre Seigneur et je voudrais pouvoir lui dire que même si j'ai fait des erreurs, j'ai essayé de le défendre, de le servir. Cela peut sembler un commentaire pieux, mais c'est ce qui me motive véritablement - et c'est tout. »