À Strasbourg, l’église Saint-Pierre-le-Jeune abrite un ange caché et anonyme. Une curiosité dans un culte protestant qui n’encourage pas la dévotion.
Par Claire Gandanger, correspondante à Strasbourg (Bas-Rhin)
Le 12 août 2019 à 11h33
Entre le siège du quotidien les Dernières nouvelles d'Alsace et un Sofitel de luxe, l'église protestante Saint-Pierre-le-Jeune* est à peine remarquable derrière un parking. C'est la seule église protestante ouverte au public à Strasbourg cet été avec l'église Saint-Thomas, dite cathédrale des protestants. « Elle ne paie pas de mine de l'extérieur mais c'est une église magnifique ! », se réjouit un visiteur.
Comme lui, plus de 80 000 curieux passent la porte de cette église atypique chaque année. « Elle vous conduit dans le mystère », prévient tout de suite le pasteur des lieux, Philippe Eber. « Ce n'est pas une église linéaire, on y entre par le transept et après il faut chercher les choses. Rien ne va ensemble. »
Depuis deux ans, une nouvelle cohorte de dévots est venue s'ajouter à celle des visiteurs curieux d'architecture. Le pasteur n'a lui-même pas remarqué tout de suite cette procession discrète dont une chapelle de l'église devenait spontanément le théâtre.
C'est que l'ange destinataire de ces prières ne saute pas aux yeux. Pour l'apercevoir, il faut passer le jubé - mur de séparation entre le chœur et la nef, généralement abattus dans les églises catholiques après le Concile de Trente et que les églises passées protestantes ont conservé.
Une fois dans le chœur, il faut avancer par les chemins de côté pour deviner l'ange dans sa chapelle, dissimulée derrière un retable. Se dévoile alors cette statue d'ange sans nom, placée dans cette chapelle à l'occasion de sa rénovation par l'architecte Carl Schaeffer au XIXe siècle.
L'ange de deux mètres de haut accueille dans une large vasque au creux de ses mains des prières débordantes rédigées dans toutes les langues du monde. « C'est un lieu intime, ce qui ajoute à son attrait », croit comprendre Philippe Eber. À l'ange sans nom, les passants adressent leurs prières sur des tickets de tramway ou même de petits prospectus griffonnés.
Les passants viennent confier leurs prières
« Après tant d'années Ange Gabriel qui a confirmé ma guérison miracle, je te retrouve », écrit l'un, reconnaissant. L'ange reçoit les espoirs tant tôt adressés à lui-même, tantôt au seigneur : « Fais-moi rencontrer les personnes qui m'aideront dans le démarrage de mon projet d'élevage ovin en ville. Place sur mon chemin les partenaires ou les associés qui porteront avec moi l'entreprise, qui soutiendront l'idée et entretiendront la motivation. Et si cet associé ou ce partenaire pouvait être aussi un compagnon de vie, je te rendrais grâce jusqu'à l'heure de nos retrouvailles… ».
Philippe Eber a parfois pris le temps de s'asseoir aux abords de l'ange pour observer les passants venus confier leurs prières. « C'est vraiment du tout-venant. Certains vont même aux toilettes chercher du papier parce qu'il n'y a rien de préparé de notre part pour cela. La paroisse ne fait rien pour entretenir le phénomène. C'est la force de cette dévotion de ne pas avoir été imaginée et d'être respectée. Le protestantisme a beaucoup insisté sur la foi et pas du tout sur la dévotion. Mais après tout c'est une forme d'expression de la foi. L'église ouverte favorise ce phénomène. Les personnes se sentent immédiatement chez elles ici. » Le pasteur des lieux assure que ces prières sont régulièrement lues et priées lors des offices.
*Église protestante Saint-Pierre-le-Jeune, place Saint-Pierre-le-Jeune à Strasbourg. L'église est ouverte tous les jours de 10h30 à 18 heures. Gratuit. Un cloître du XIe peut aussi être visité.