"Il faut réunir tous les populistes". Invité de David Pujadas sur LCI, Patrick Buisson, conseiller de Nicolas Sarkozy en 2007, a résumé ce que nous disions au lendemain des européennes, à savoir que "l'"alliance des droites" est le dernier miroir aux alouettes. [...] L'ensemble des droites a fait 37%, ce qui ne fait pas 50% et ne permettra pas à l'"alliance des droites" seule d'arriver au pouvoir. C'est le grand enseignement de ces élections européennes 2019 : la seule "union des droites" ne sera pas suffisante. Un candidat qui souhaiterait arriver au pouvoir en 2022 devra parler à la droite ET à la gauche."
Lire : Européennes 2019 : les enseignements pour 2022
Un entretien à bien écouter car ce qui est dit du point de vue de l'"axe stratégique" est capital pour une (vraie) droite (légitimiste) qui voudrait jouer le jeu des élections :
Extrait :
"Le commentaire que je pourrais faire des élections européennes, et que je n'ai pas trop entendu ailleurs, c'est que la 'république en marche' a mobilisé un électeur sur dix. Et lorsqu'on rassemble tous les partis du bloc central, c'est-à-dire ceux qui ont gouverné la France depuis 50 ans, république en marche, républicains, socialistes, on arrive à moins d'un français sur cinq dans une élection qui leur était favorable, car la participation y est favorable aux séniors, aux retraités, qui vont voter aux européennes beaucoup plus que l'électorat populaire, qui s'abstiennent massivement. C'est une élection (les européennes) qui favorise l'expression des inclus. Dans ce contexte, l'analyse que je peux faire ce n'est pas une crise de la représentation mais une crise de la légitimité.
"Car on en est bien là, qu'est-ce qui fonde la légitimité en démocratie ? C'est le suffrage universel. Or notre démocratie est malade parce que son mode de légitimation ne fonctionne plus, parce que l'ensemble des partis de gouvernement ne réunit maintenant que moins d'un français sur cinq. Et cela a bien été un des aspects essentiels du mouvement des Gilets jaunes que cette demande de refondation de la démocratie sur d'autres bases.
"[...] Aujourd'hui la démocratie représentative ne représente plus grand chose, c'est si vous voulez la phrase de Valéry qui disait avant-guerre que 'cette démocratie représentative, c'est l'art d'empêcher les gens de se mêler de ce qui les regarde'.
"[...] Le vrai clivage est entre libéraux et anti-libéraux, et cela vaut particulièrement pour la droite. Il y a une droite anti-libérale qui privilégie les solidarités collectives et puis il y a une droite libérale, celle qu'est en train d'absorber Macron, qui, elle, met l'accent sur les sociabilités contractuelles. (Ce clivage) a toujours existé. Cette droite - François Mitterand la définissait - il disait : 'Cette droite n'a pas d'idées, elle n'a que des intérêts'. C'est la droite de la reductio ad pecuniam. C'est le syndic de défense des intérêts privés et des catégories sociales qu'elle représente.
"Tout le monde nous ressort la grande classification des droites de René Rémond (la 'droite orléaniste', la 'droite bonapartiste' et la 'droite légitimiste'). Or je crois que René s'est trompé. L'orléanisme, en fait, c'est le libéralisme. Et cette droite libérale qui en fait a exercé une domination fonctionnelle sur la droite, est une droite situationnelle, c'est-à-dire qu'elle est classée à droite, mais elle n'est pas ontologiquement de droite. Ce n'est pas parce qu'on l'a classée à droite qu'elle est de droite. Elle représente en effet le libéralisme. On pourrait d'ailleurs dire à peu près la même chose du césaro-bonapartisme, qui vient plutôt de la gauche jacobine, patriote et centralisatrice. (Alain Madelin, Alain Juppé) ne sont pas de droite, ce sont des libéraux. Et il y a une antinomie fondamentale entre la droite originelle, anti-libérale, qui mêlait le légitimisme et le catholicisme social.
"Si on arrive à bien cerner ces différentes sensibilités, on voit qu'à gauche comme à droite existent des forces anti-libérales puissantes. Et j'entends certains parler comme de la recette miracle de l''union des droites', et on dit que ce qu'il faut refaire c'est 2007. Et bien moi je réponds: pas du tout, 2007 est totalement dépassé, pour une première qu'en 2007 le rapport des forces entre Sarkozy (c'est-à-dire l'UMP) et le Front national et de trois à un, trente pour Sarkozy et dix pour le Jean-Marie Le Pen. Aujourd'hui le rapport est toujours de trois à un, mais en faveur du Front national, 24 pour Marine, 8 pour Bellamy.
"[...] L''union des droites' est un schéma absolument obsolète. Et si on veut construire une alternance, ou une force alternative à Macron, la difficulté est qu'on ne peut pas le faire avec une Marine Le Pen comme tête d'affiche, mais on ne peut pas le faire sans Marine Le Pen aujourd'hui, puisque c'est la principale force à la droite de Macron. Donc, il faut chercher ailleurs. Probablement l''union des droites', peut être un élément de l'alternance mais certainement pas l'axe stratégique.
"(Que Marion Maréchal souhaite incarner) cet ailleurs, je n'en doute pas, mais son discours sociologique recouvre exactement celui de Bellamy, c'est-à-dire que dans le rapport de force elle pèse un tiers de ce que pèse Marine Le Pen. Je ne pense pas que sa tante va s'effacer en disant 'je vous en prie madame, passez, voici la place'. Donc il faut imaginer autre chose et surtout pas sur la base de l''union des droites'.
"Je crois que la force d'alternance pour réunir les populismes de gauche et les populistes de droite, les souverainistes de droite et les souverainistes de gauche, cela a déjà existé dans l'histoire, même si c'est très lointain. [...] En novembre 1831, la révolte des Canuts à Lyon, opère ce renversement d'alliance contre le nouvel ordre économique, on voit se liguer le chef de la révolte, Pierre Charnier (un des fondateurs du mutuellisme, assurance maladie et chômage), un légitimiste défenseur de l'alliance du trône et de l'autel, et du petit peuple des paysans, des ouvriers et et artisans de la Croix-Rousse. ["Ils partirent en 1831 de la Croix-Rousse, derrière le drapeau noir. Le pouvoir envoya contre eux 20 000 hommes de troupe et 150 canons." Jean-Christian PETITFILS, Histoire de la France, le Vrai Roman national, Fayard, Lonrai 2018, p. 545.] On a vu, comme dans le mouvement des Gilets jaunes, et plusieurs fois dans notre histoire, ces forces converger, et qui a priori peuvent apparaître comme antinomiques. Aujourd'hui, ce qui les rassemble, ou peut les rassembler c'est l'anti-libéralisme.
"Jean-Luc Mélenchon n'est pas propriétaire de son électorat. Jean-Luc Mélenchon et la 'France insoumise', 99% des cadres de la 'France insoumise' côtisent au gauchisme culturel, mais quand on regarde les consultations sur les projets de société, la moitié de l'électorat de Jean-Luc Mélenchon, n'a pas les positions de Jean-Luc Mélenchon sur l'immigration. On le voit d'ailleurs dans le reports des votes et dans le dernier sondage de l'Ifop sur la simulation de la présidentielle au lendemain des européennes. Il faut distinguer les appareils (de parti) des comportements électoraux, qui ne sont pas dictés par les oukazes d'appareil."
À la question de David Pujadas : "on dit que vous prépareriez une initiative peut-être avec Eric Zemmour, ou avec d'autres penseurs de ce que l'on appelle la droite hors-les-murs ?", Patrick Buisson répond :
"Oui, c'est vrai. Mais cette initiative porte d'abord sur une réflexion, sur une stratégie, et sur une plateforme. On ne pose pas le problème de l'incarnation. Le problème de savoir qui portera ce projet, cette stratégie, cette plateforme, viendra après. C'est vrai qu'on y a travaillé, qu'on y travaille, qu'on y travaillera demain pour ne rien vous cacher. C'est un nouveau-né, laissez lui le temps de grandir, de se développer, de passer les premiers écueils, mais on pense qu'il y a là une initiative à la fois féconde et forte qu'il va falloir prendre si nous parvenons à nos fins d'ici quelques mois.
La question de l'incarnation ne se pose pas à ce stade. Si on arrive à se mettre d'accord sur une stratégie et un processus, un certain nombre de personnes qui ont la clé qui nous permettrait peut-être d'échapper à un second tour Marine Le Pen / Emmanuel Macron, on parlera de la question de l'incarnation après."
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