Christophe Guilluy, qui vient de sortir "No Society, La Fin de la classe moyenne occidentale" (Flammarion) était invité de Ruth Elkrief ce soir sur Bfmt-tv. Il analyse en géographe ce que Ruth ElKrief résume bien comme "la déconnection des élites et des classes moyennes et des classes populaires".
Extrait :
- « Aujourd'hui, l'idée est que le socle de la classe moyenne est en train de se fragiliser. Finalement, ce qu'on vit aujourd'hui c'est du temps long. La révolte des Gilets jaunes n'est pas conjoncturelle, ce n'est pas seulement l'augmentation du prix du gasoil. C'est pour cela qu'y répondre seulement par des mesures techniques, c'est déjà afficher un discours technocratique qui ne passera absolument pas. On est là en train de payer trente années d'évolution de la société française et des sociétés de l'adaptation de ces économies vers l'économie monde.
« Les gens avaient joué le jeu de la mondialisation. Les gens ont fait un diagnostic de leur propre vie et ils ont fait un diagnostic rationnel. Et ils font le constat que le modèle qu'on leur a vendu n'a pas été bénéficiaire pour eux, mais aussi pour leurs enfants. Ils font un constat rationnel. [...] C'est pour cela que j'ai appelé cela "No Society", c'est-à-dire qu'on est à un moment très particulier où vous avez - ce qu'avait remarqué Christopher Lasch dans les années 80 -, une sécession des élites qui allait beaucoup plus loin en fait, c'était une sécession du monde d'en-haut. Géographiquement, on peut le voir avec la constitution de ces citadelles métropoles avec des péages autour (c'est l'octroi qui revient); un monde d'en-haut qui s'isole et puis un monde d'en-bas qui n'écoute plus les politiques.
- « Et donc qu'est-ce qu'il faudrait faire pour que ce monde d'en-haut renoue le contact, se reconnecte?», demande Ruth Elkrief.
« [...] On a un problème économique. Nous avons un modèle qui crée de la richesse, mais qui ne fait pas société. Il faut réfléchir à cela.
Note du blog Christ Roi. « La démocratie fondée sur la conviction que le corps politique est le produit des volontés de chacun, et portant jusqu'à l'incandescence l'idée d'une création de l'homme par lui-même, est vouée à étendre sans cesse les droits des individus. Elle contraint les hommes à vivre dans un monde d'individus inégaux, alors même qu'elle a posé en principe leur égalité. Elle se condamne donc à rendre sans cesse moins tolérable l'écart entre les promesses [...], les espérances qu'elle suscite et les accomplissements qu'elle offre... » (Préface de Mona Ozouf dans François Furet, La Révolution française, Quarto Gallimard, Malesherbes 2007, p. XXI.) Dans ce système l'égalité des uns présuppose comme condition préalable l'inégalité économique et sociale des autres. Belle réussite du marché, mais impasse totale des principes de 1789.
Lire : Penser l'impasse des droit de l'homme
« Et aujourd'hui, poursuit Christophe Guilluy, il y a un effort en-haut à faire une sorte de révolution culturelle finalement et se dire qu'il faut aller au peuple. Ce monde d'en-haut n'arrête pas toute la journée de parler du "vivre-ensemble" : il faut qu'il apprenne à vivre ensemble avec son propre peuple, avec ses classes populaires. Déjà ce sera très bien. C'est dans ce sens-là qu'il faut aller.
- « De haut en bas », précise Ruth Elkrief.
- «Bien sûr. Evidemment, on ne changera pas le peuple.»
- « Dans les prochaines années, vous avez l'impression qu'il pourrait y avoir un autre leader qui pourrait représenter ces couches-là et qui les incarneraient, un champion de ces classes populaires ?», demande Ruth Elkrief.
- Evidemment, répond Christophe Guilluy. Il peut venir de gauche, de droite (en tout cas certainement ni de la droite ni de la gauche qui gouverne depuis 1789... et qui a donné les pleins pouvoirs à la finance! NdCR.), on ne sait pas d'où. Mais quand on regarde le succès des populistes partout en Europe, ils se sont adaptés à une demande, ils n'ont pas changé ce que pense ce peuple, ils se sont inspirés de la demande de ces catégories populaires. Quelle est cette demande ? Du travail et la préservation d'un capital social et culturel. »
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