Le président russe Vladimir Poutine et le patriarche Kirill ont inauguré le 30 octobre, à Moscou, un impressionnant “Mur de douleur” en hommage aux victimes des répressions politiques. Ils ont omis l’essentiel, souligne le journaliste russe Konstantin Eggert : nommer ceux qui les ont ordonnées.
Récemment, j’ai pris le train avec ma femme et mes enfants pour rendre visite à des amis en banlieue de Moscou. Un homme avec un accordéon est entré dans le wagon et a commencé à chanter la chanson d’un vieux dessin animé soviétique. Entre les couplets, l’accordéoniste insérait des exclamations comme “Souvenons-nous de notre passé glorieux !” Cela donnait une sorte de rap soviétique. Avant de traverser le wagon pour demander l’aumône, le musicien souhaita à tous une “bonne fête de la révolution d’Octobre”. La suite montra qu’il avait eu du flair.
Lorsque ma femme, ne tenant plus, lui rétorqua que ce n’était pas une fête mais une tragédie, tout le wagon s’en prit à elle : “C’est la noblesse (sic !) qui a provoqué la guerre [civile]”, “Il y en a pour qui c’est peut-être une tragédie, mais pour nous c’est une vraie fête.” Personne n’a pris notre parti. C’est vrai que les trains de banlieue sont surtout fréquentés par des personnes modestes d’âge moyen à mûr pour qui la nostalgie de l’Union soviétique va de soi. Mais combien voit-on également d’Audi A8 et de Land Cruiser avec des autocollants affichant “URSS” ou une faucille et un marteau ?
Ce que Poutine et le patriarche Kirill n’ont pas dit
Le 30 octobre 2017, le Kremlin a voulu non sans succès faire une croix sur toutes les tentatives de comprendre ce qui s’est vraiment passé en Russie au XXe siècle. En inaugurant l’impressionnant monument conçu par le sculpteur Gueorgui Frangoulian, le président Vladimir Poutine et le patriarche Kirill (présent à la cérémonie) n’ont pas évoqué, ne serait-ce qu’une fois, ni Lénine, ni Staline, ni le Parti communiste.
Dans le discours du primat de l’Église orthodoxe russe, on a même entendu la phrase suivante : “Comment l’idée grandiose de construire un monde libre et juste a-t-elle pu mener au bain de sang et à l’arbitraire ?” Va-t-on vraiment devoir écouter les représentants d’une Église martyre, qui, comme d’autres confessions, a perdu des millions de clercs et de fidèles [dans les répressions], débiter des banalités de l’époque du dégel de Khrouchtchev et du XXe congrès du PCUS – l’idée était bonne mais sa mise en œuvre a été ratée ?
Les bourreaux ont des noms
Il y a quelques années, le président de Memorial [la principale organisation de défense des droits de l’homme russe travaillant sur la mémoire des purges staliniennes], Arseni Roginski, a très justement dit lors d’une conférence : des centaines de monuments à la mémoire des “victimes des répressions” ont été érigés à travers le pays, mais tant que les bourreaux n’auront pas été nommés, que le régime assassin de millions de personnes n’aura pas été condamné, qu’aucune leçon politique n’aura été tirée de soixante-quatorze ans de pouvoir soviétique, toutes ces statues, ces stèles et ces plaques commémoratives n’auront aucun effet sur les esprits et les consciences des Russes, ni sur l’avenir du pays.
Source et suite : Courrier International
Note du blog Christ-Roi. Il est facile dénoncer les crimes de Staline pour dédouaner ceux de son prédécesseur Lénine... Ce qui permet de sauver le mythe du marxisme-lénisme... Pourtant, la guerre civile et la violence sont des moyens inscrits dans le projet communiste dès le départ chez Marx et Lénine :
"La notion de guerre civile est au coeur du projet communiste, tel qu'il apparaît dès 1848 dans le Manifeste du Parti communiste où, Marx, évoquant la lutte des classes, parle de 'la guerre civile plus ou moins latente au sein de la société actuelle, jusqu'au point où elle éclate en révolution ouverte et où le prolétariat jette les fondements de sa domination par le renversement violent de la bourgeoisie.' La conclusion du Manifeste est fort claire : 'Les communistes déclarent ouvertement qu'ils ne peuvent atteindre leurs objectifs qu'en détruisant par la violence l'ancien ordre social.'
[...] En 1871, après l'écrasement de la Commune de Paris, Marx publie La Guerre civile en France, où il rappelle qu'à ses yeux 'la guerre des asservis contre leurs oppresseurs [est] la seule guerre juste dans l'histoire', et où il dénonce 'la conspiration de la classe dominante pour abattre la révolution par une guerre civile poursuivie sous le patronage étranger', oubliant au passage que la Commune s'opposait à une Assemblée nationale régulièrement élue en février 1871. [...] Marx tire une conclusion décisive : 'La guerre nationale est une pure mystification des gouvernants destinée à retarder la lutte des classes, et qui est jetée de côté aussitôt que cette lutte des classes éclate en guerre civile.' Dès 1914-1915, Lénine s'empare de cette conclusion de Marx pour inaugurer un slogan appelé à un grand retentissement : 'Transformer la guerre impérialiste en guerre civile.'
Dès août-septembre 1916, il écrit : 'A la guerre bourgeoise impérialiste, à la guerre du capitalisme hautement développé, ne peuvent objectivement être opposées, du point de vue du progrès, du point de vue de la classe d'avant-garde, que la guerre contre la bourgeoisie, c'est-à-dire avant tout la guerre civile du prolétariat contre la bourgeoisie pour la conquête du pouvoir, guerre sans laquelle tout progrès sérieux est impossible.' (Lénine, Oeuvres, Paris/Moscou, Editions sociales/Editions en langue étrangères, 1959, t. 23. p. 339.)
[...] Désormais pour Lénine, la révolution est définitivement inséparable de la 'guerre civile pour le socialisme'. Or, celle-ci est 'aussi une guerre, par conséquent, elle doit aussi ériger inévitablement la violence au lieu et place du droit. [...] Le but de la guerre civile est de s'emparer des banques, des fabriques, des usines, etc., d'anéantir toute possibilité de résistance de la bourgeoisie, d'exterminer ses troupes.' (Lénine, Oeuvres, Paris/Moscou, Editions sociales/Editions en langue étrangères, 1959, t. 23. p. 25.) Il le rappelle en octobre 1917 : 'Cette guerre pourra être violente, sanguinaire, elle pourra coûter la vie de dizaines de milliers de propriétaires fonciers, de capitalistes et d'officiers qui épousent leur cause. Le prolétariat ne reculera devant aucun sacrifice pour sauver la révolution'." (Stéphane Courtois, Communisme et totalitarisme, Tempus, Paris 2009, p. 76-78)
"Jusqu'en 1914, la conception de la violence chez Lénine se nourrit à quatre sources :
Karl Marx dans le Manifeste du Parti communiste - 'Les communistes déclarent ouvertement qu'ils ne peuvent atteindre leurs objectifs qu'en détruisant par la violence l'ancien ordre social.' ;
Auguste Blanqui et ses tentatives d'insurrection menées par un groupe révolutionnaire;
la Commune de Paris et les leçons tirées par Marx sur l''Art de l'insurrection';
et enfin la révolution russe de 1905-1906, avec ses combats de rue en ville et ses émeutes paysannes - bunt - qui balaient tout sur leur passage." (Stéphane Courtois, Communisme et totalitarisme, ibid., p. 118.)
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