Le philosophe et essayiste Charles Robin était l'invité de MetaTv, un peu avant les présidentielles, le 8 février 2017, pour évoquer son dernier livre "Itinéraire d'un gauchiste repenti, Pour un anticapitalisme intégral" (2017). Dans ce livre, l'auteur revient sur le parcours qui l'a amené à défendre les idées qu'il défend dans "La Gauche du capital" (édition krisis 2014) et revient sur certaines d'entre elles et les approfondit, car "beaucoup de personnes ne comprenaient pas" d'où il parlait, sa position et pourquoi il critiquait "la gauche et l'extrême-gauche comme s'il était un auteur d'extrême-droite qui voulait régler ses comptes avec l'extrême-gauche." Dans cet entretien à Metatv, il explique pourquoi il ne vote plus.
Extraits choisis :
"Le socialisme et la gauche ce n'est pas du tout la même chose. La gauche, c'est le libéralisme culturel historiquement et philosophiquement, et le socialisme c'est un mouvement au départ philosophique et politique qui va prendre la défense des classes populaires indépendamment du clivage droite-gauche. C'est fin XIXe, début XXe siècle - Michéa situe cela au moment de l'affaire Dreyfus, qu'il y a eu une alliance entre la gauche et le socialisme contre la droite et l'extrême-droite et qu'à partir de là, la gauche et le socialisme en sont venus à se confondre et à s'incarner comme dans le 'Front populaire', savant équilibre entre la gauche et le socialisme. Ensuite, dans la Ve république, les présidents de gauche qui se sont succédé, sont restés de gauche mais ont cessé d'être socialistes. C'est par exemple avec le tournant de la rigueur dans les années sous Mitterand, où cela a été de plus en plus difficile de cacher que la gauche avait cessé de défendre le peuple (ils se sont complètement ralliés au libéralisme au plan économique, ce n'est pas un scoop). Et le libéralisme a complètement contaminé l'échiquier politique. Et le libéralisme est une question centrale car c'est une question qui n'est jamais abordée explicitement. C'est-à-dire que tu peux regarder n'importe quel débat politique, à de très rares exceptions près on ne fera jamais porter le clivage sur les idées avec le critère du libéralisme, alors que c'est omniprésent !
Alors quand on voit des disputes entre des gens de gauche et les gens de droite sur certains aspects, ils ne s'aperçoivent pas qu'en fait ils sont absolument d'accord sur le fond, ils ne sont simplement pas d'accord sur la manière de mettre en oeuvre le programme libéral jusqu'au bout. Exemple: on voit avoir des personnalités de droite qui vont condamner le 'mariage pour tous' en disant que cela s'inscrit contre les valeurs traditionnelles, etc., mais à côté de cela, les mêmes personnalités de droite vont valider l'économie de marché, alors que l'économie de marché et la libéralisation des droits marchent ensemble. C'est-à-dire que le marché, pour s'étendre, ne veut pas que les individus soient pris dans des dogmes, des contraintes morales, il faut que l'individu soit complètement libéré de toutes les contraintes culturelles et morales. Il faut qu'il puisse jouir sans entraves, pour reprendre le slogan de Soixante-huit, et jouir sans entraves cela passe par la libéralisation des moeurs.
Donc en fait, il y a une corrélation directe entre le libéralisme politique qui veut toujours plus de droits individuels, toujours plus de libertés, toujours moins de communauté et toujours plus d'individu, et le libéralisme économique qui a besoin de former des consommateurs.
[...]
Les premiers qui sont à défendre les droits des femmes au nom des 'valeurs' libérales, on les entend beaucoup moins lorsqu'il s'agit de défendre la représentation médiatique des femmes comme objets sexuels... Car cela s'inscrit totalement dans la logique libérale. D'ailleurs à tel point que parfois on va présenter cela comme un signe d'émancipation des femmes. Et finalement, réduire la femme à une paire de fesses c'est oeuvrer pour l'émancipation de la femme ! Donc là en effet on est dans un retournement complet.
Il y avait déjà le vers dans le fruit avec le travail des femmes alors que finalement c'était pour mieux les convaincre d'adhérer à ce système-là, et on leur dit vous allez être libres ?
Edward Bernez, qui est le petit-neveu de Sigmund Freud, qui lui est un libéral dans toute sa quintessence et avec le cynisme qui va avec, c'est-à-dire qu'il assume, il assume que ce qu'il appelle les spin doctors, ceux qui forment et forgent même l'opinion publique, leur travail c'est de manipuler l'opinion publique. Cela passe par faire consentir la population à des changements civilisationnels, mais qui soient consentis. Et pour qu'ils soient consentis, il faut qu'on les leur présente sous un jour attrayant. C'est le 'capitalisme de la séduction' de Clouscard. Exemple: la cigarette. Dans les années 40 - 50, c'était très mal vu pour une femme de fumer : les seules femmes qui fumaient c'était les prostituées. Donc cela faisait très mauvais genres et c'était les hommes qui fumaient. Bernez travaillait pour Luky Strike et Luky Strike voulait savoir comment élargir son marché. Bernez a eu l'idée la plus simple, il y a la moitié du monde qui ne fume pas, il faut faire fumer cette moitié de la population, c'était les femmes. On a alors présenter la cigarette aux femmes comme un symbole d'émancipation, et comme un symbole d'appropriation par les femmes du phallus masculin, c'est-à-dire du pouvoir. Edouard Bernez a alors recruter des jeunes mannequins qui ont défiler avec des pancartes sur lesquelles étaient marquées 'torches de la liberté'... en fumant. Et c'est à partir de là qu'on a commencé à élargir le marché de la cigarette aux femmes, avec des affiches sur lesquelles on mettait des femmes très pulpeuses, très belles, qui fumaient... Et, aujourd'hui, les femmes fument autant, voire plus que les hommes...
[...]
C'est la phrase de Bossuet qui dit: 'Dieu se rit de ceux qui déplorent les conséquences dont ils chérissent les causes'. Quand on fait quelque chose, on doit accepter les conséquences, quand on veut les causes on veut les effets. On ne peut pas vouloir les causes et pas les effets. Et dans l'idéologie de l'extrême-gauche il y a beaucoup la prétention à vouloir oeuvrer à l'égalité et à la justice, mais dans les modalités de lutte, on en arrive à produire l'inverse ! Exemple: on va oeuvrer pour l'égalité homme-femme, et dans les faits on va favoriser plutôt l'opposition homme-femme ! On va oeuvrer pour les la reconnaissance des droits homosexuels et on va dresser les homosexuels contre les hétérosexuels ! Et inversement. Sachant qu'il y aura toujours dans les deux camps des gens qui vont tomber dans le piège et qui vont participer à cela. Cela va donner des discours extrémistes de la part d'hétérosexuels avec une vision extrêmement rigoriste qui va faire que les homosexuels vont se sentir agressés, lesquels vont réagir, cela va surréagir, c'est l'horizontalisation de la lutte. Et le logiciel d'extrême-gauche fonctionne beaucoup sur ce principe-là.
[...] On s'aperçoit que le système idéologique libéral fonctionne sur la mise en opposition des catégories populaires les unes avec les autres. Et la plupart des combats de l'extrême-gauche vont renforcer cette opposition, cette confrontation, en fait, des égaux et des individus.
[Beaucoup de gens, sans se renseigner, ni prendre la peine de lire les textes à leurs sources, déversent leur idéologie scientiste des Lumières, calomnient, mentent, étiquettent (extrême-droite, fachos, nazis, etc.), contribuant ainsi à désinformer la population (quand ils ne sont pas payés pour le faire), à diviser et à cliver, et à édifier la nouvelle tour de Babel sur un mensonge. NdCR.
Lire : Principe du moteur de la Révolution ]
On ne va plus parler au nom du peuple, on va parler au nom des 'minorités', on va parler au nom des femmes, au nom des jeunes, au nom des 'blacks', au nom de toutes les communautés. On va faire une sorte de segmentation du peuple pour en arriver aujourd'hui à l'idée par exemple que le peuple est une fiction, qu'il n'existe pas, et qu'il n'y a que des individus... Oui, mais il n'y a que des individus qui partagent une langue, un territoire, une culture, une histoire, même symbolique. C'est-à-dire qu'on a pas besoin d'être d'origine française pour partager la culture française, il suffit que n'importe quelle personne française aille à l'étranger, elle va se sentir française à l'étranger, puisque précisément c'est quand on n'est plus chez soi qu'on se rend compte qu'on était chez soi..
"Historiquement, le clivage droite - gauche s'est construit sur les partisans du progrès, les partisans du mouvement comme on les appelait, qui étaient les libéraux, et qui historiquement sont la 'gauche' puisqu'ils siégeaient à gauche à l'assemblée. Et ce qu'on appelait la droite, c'était les partisans de la monarchie. Donc, en fait, la 'gauche', ce sont les libéraux face aux royalistes. Ensuite, les clivages se sont déplacés. On se disait de 'gauche' quand on défendait le libéralisme culturel et politique et on était de droite quand on défendait le libéralisme économique (fausse "droite" orléaniste et libérale après 1830. NdCR.)
Il faut intégrer le fait que l'alliance qui s'est faite entre la 'gauche' et le socialisme au moment de l'affaire Dreyfus, a fait que la gauche s'est retrouvée à devoir endosser le rôle de défendre la cause du peuple sur le plan économique (ce qu'elle ne fit jamais jusqu'au début du XXe siècle.. NdCR.) Elle devait assumer une position paradoxale qui était à la fois d'incarner le progrès des libertés et en même temps défendre la cause du peuple qui n'avait que très peu à voir avec le combat pour les libertés.
[...] Ce clivage a complètement éclaté à partir du moment où, à partir des années 1980 la gauche a rallié le libéralisme économique. Et aujourd'hui la 'droite', elle-même, a de plus en plus de mal à cacher le fait qu'elle ne reviendra pas sur les mesures sociétales qui ont été prises par la gauche.
[Lire: la "droite impossible, l'effet cliquet et le "mouvement sinistrogyre" qui fait que la (fausse) droite va toujours plus à gauche, et qu'aujourd'hui le libéralisme retourne là d'où il est venu : à gauche... dégageant ainsi un espace politique énorme pour une droite authentique, décomplexée, qui assume les idées de droite de la légitimité. NdCR.]
Je fais partie de ces personnes qui n'attendent plus rien en terme de changement de fond de la part de la classe politique. Ce n'est pas du renoncement. C'est-à-dire que soit on veut l'émancipation, on veut recouvrer cette vraie liberté et dans ce cas-là on doit l'assumer nous-même, et ne pas attendre que ce soit des hommes politiques qui fassent le boulot à notre place, ou soit on poursuit la logique de l'inféodation à la classe politique, mais à partir de là on ne peut pas se plaindre des conséquences... Voilà, je ne vote plus.
Et dans ce cas-là je considère qu'une personne qui ne vote pas n'a pas le droit de se plaindre d'un homme politique. C'est la raison pour laquelle je ne suis pas du tout dans la lamentation, et la récrimination. En fait, les hommes politiques font leur travail. On leur donne un pouvoir et ils utilisent ce pouvoir. [...] Quand on dit que l'homme est mauvais par nature, non, il de vient mauvais, il devient égoïste lorsqu'il est mis dans un contexte où il a la possibilité d'écraser son prochain [l'homme, en fait, a la capacité de faire le bien ou le mal selon son libre arbitre. La nature humaine n'est ni bonne ni mauvaise, l'homme a le bon et le mauvais en lui. Parfois il penche vers le bien, parfois il penche vers le mal en fonction de sa sanctification personnelle, en fonction de sa lutte personnelle contre le péché, en raison de ses vertus personnelles, etc. NdCR.]
[...] Aujourd'hui, pour gagner une élection, poursuit Charles Robin, il faut mentir. Tu ne peux pas dire la vérité au peuple, parce que le peuple ne votera pas pour toi si tu lui dis la vérité. Et l'histoire du XXe siècle nous a montré que le pouvoir ne profite jamais au peuple.
C'est peut-être une vision très manichéenne, très populiste, etc., je l'assume. Car plus j'étudie l'histoire et plus j'ai l'impression que l'histoire confirme cela.
[...] Attention là j'annonce - c'est du complotisme - que si le FN passait, je verrais bien une instrumentalisation de sa victoire, qui expliquerait une situation de chaos, dont le responsable principal pourrait être désigné comme... le FN... Donc, lorsqu'on prend conscience de la perversion stratégique des gens qui nous gouvernent, on se dit que la victoire du FN pourrait en dernière instance servir leurs intérêts !
Passer à l'action ?
Il n'y a pas à réfléchir d'abord et on agit ensuite. Le fait même de parler et de dire ce qu'on dit, c'est déjà de l'action, car cela a déjà un impact sur ce qui nous entoure.
Une action, c'est le résultat d'une pensée. Si on veut transformer le monde, il faut transformer la pensée qui agit sur ce monde. Chacun à son niveau, si on incarnait ce que l'on propose dans le discours, forcément il y aurait une évolution. Mais il faut tout de même prendre en compte les limites inhérentes à la situation dans laquelle on est. On fait ce qu'on peut, et on ne peut pas faire beaucoup plus que ce qu'on peut.
Mais déjà le dire, c'est déjà beaucoup. Parce que par exemple, il va y avoir des gens qui vont écouter cette émission et qui vont se dire, tiens là j'ai appris quelque chose, ou là, je n'aurais pas vu cela comme ça. Donc cela va produire une évolution dans leurs pensée qui fait qu'ensuite - pour moi c'est comme cela que s'est fait le processus -.
Il ne faut pas oublier que dans un monde de la matière et du temps, les choses ne se font pas instantanément et c'est cela l'histoire, le déploiement des actions humaines dans le temps. Et entre ce qu'on dit et les effets de ce qu'on dit, il y a forcément du temps. Donc, patience est mère de vertus ou de sagesse, je sais plus ! [Il y a aussi le proverbe de Jean de La Fontaine, "patience et longueur de temps font plus que force ni que rage." Ce qui est certain, c'est que pour lutter efficacement contre la Révolution, il ne faut pas "une révolution contraire, mais le contraire de la révolution". Joseph de Maistre. Donc refuser l'action par la force (la violence) et l'impatience. NdCR.]
En fin d'entretien, Charles Robin avance que "beaucoup ont proposé que le christianisme ne pouvait que muter dans la laïcité puisque c'est une religion de l'amour universel, de l'amour de son prochain, et qu'en fait le christianisme, en tant que tel, était dans la bienveillance fondamentale, et que la bienveillance fondamentale aboutit à un moment donné à la laïcisation. C'est-à-dire le refus d'imposer un dogme pratique. Donc, pour beaucoup 1789 est la fille du christianisme. Et on pourrait presque dire que tout ce que subit la société libérale c'est la fille du libéralisme aussi. L'histoire s'accomplit et il y a une logique derrière."
Cette opinion c'est un peu faire mourir le Christ sur la Croix en vain, si ses enseignements ne devaient pas être suivis par les peuples et les nations. Or, Mgr Louis-Édouard Pie (1815-1880), évêque de Poitiers, cardinal et prélat antilibéral du XIXe siècle, a expliqué la doctrine intégrale de la Royauté de Jésus-Christ. Il a répondu ici à l'avance à Charles Robin. Cette opinion de la laïcisation "fille du christianisme" est, en fait, celle des catholiques libéraux - ce libéralisme que dénonce Charles Robin - qui objectent la parole du Christ "Mon Royaume n'est pas de ce monde". Cette parole de Jésus à Pilate indique simplement que le royaume de Jésus est avant tout un royaume qui vient d'en haut, et non de ce monde. Son pouvoir s'origine du Ciel et non d'ici-bas. Il s'agit d'un royaume spirituel, et non matériel. Il s'agit d'un royaume qui s'établit par la puissance divine et non par la force des armes, ou la violence révolutionnaire. Il ne résulte aucunement de cette parole que Jésus ne veuille pas régner socialement sur les nations : ce serait un blasphème qui prétendrait que le Christ serait mort en vain sur la Croix et que ses lois n'auraient pas à être suivies par les souverains et les nations. Ainsi, "dire que Jésus-Christ est le Dieu des individus et des familles, et n'est pas le Dieu des peuples et des sociétés, c'est dire qu'il n'est pas Dieu. Dire que le christianisme est la loi de l'homme individuel et n'est pas la loi de l'homme collectif, c'est dire que le christianisme n'est pas divin. [...] C'est le droit de Dieu de commander aux états comme aux individus. Ce n'est pas pour autre chose que N.-S. est venu sur la terre..." (Source:La Royauté sociale de N.S. Jésus-Christ, d'après le Cardinal Pie, P. Théotime de Saint-Just, O.M.C., Lecteur émérite en théologie, Editions Saint-Rémi, p. 43-44; 73).
De même, ce n'est pas pour rien qu'en montant au Ciel, lors de son Ascension, Jésus adressa ces paroles explicites à ses disciples : "Tout pouvoir m'a été donné au ciel et sur la terre", leur commandant : "Allez donc: de toutes les nations faites des disciples, les baptisant au nom du Père et du Fils et du Saint-Esprit, leur apprenant à garder tout ce que je vous ai prescrit. Et moi, je suis avec vous tous les jours jusqu'à la fin des temps."" (Mt 28:18-19) Il y a un devoir d'évangéliser les nations. C'est-à-dire d'apprendre aux nations et à leurs souverains à "garder" - c'est le terme qu'emploie Jésus - les enseignements du Christ. Nulle laïcisation ici.
Le cardinal Pie a d'ailleurs prononcé une phrase demeurée célèbre "la France sera chrétienne ou elle ne sera pas". Le pape canonisé S. Jean-Paul II avait dit : "France, fille aînée de l'Eglise, qu'a-tu fais de ton baptême ?"
Il ne s'agit donc pas d'imposer un dogme, il s'agit d'affirmer qu'il y a une vérité et des enseignements que la société doit respecter si elle veut être libre, de la liberté divine de l'Esptit-Saint.
Enfin, nous notorons que l'idée (des loges maçonnique) de l'adogmatisme est déjà une croyance en elle-même et un dogme jacobin imposé à l'homme collectif (jacobinisation). Toute société même "laïcisée" ou adogmatique est déjà une métaphysique qui s'impose à la société. Le tout est de choisir la bonne métaphysique qui permette de tenir la société debout. En début d'entretien [à partir de 8 minutes 15 première video], Charles Robin explique : "...le marché, pour s'étendre, ne veut pas que les individus soient pris dans des dogmes, des contraintes morales"... Force est de constater que le vide moral au fondement de la démocratie laïque (le refus de définir le fondement ultime du pouvoir) ne permet pas de fonder la société sur un socle solide.