772 Charles Ier, qui restera dans l'histoire sous le nom de Charlemagne, décide d'envahir la Saxe, territoire du nord de la Germanie, situé entre la France, la Frise, le Danemark et les Pays slaves.
Le jeune roi des Francs a trois objectifs :
(1) mettre un terme définitifs aux raids saxons dans les régions franques
[Les Saxons menèrent des raids meurtriers et des pillages très tôt sur la Gaule romaine au IVe siècle et sur le Regnum francorum (royaume des Francs) aux VII et VIIIe siècles. "Les côtes maritimes de la Gaule et de la Grande-Bretagne étaient toujours exposées aux ravages des Saxons. Le succès de leurs premières entreprises excita naturellement l'émulation des plus braves de leurs compatriotes, qui se déplaisaient dans la triste solitude des montagnes et des forêts. ... Ils étendirent la scène de leur brigandage, et les pays les plus enfoncés dans les terres ne durent plus se croire en sûreté contre leurs invasions. ... Leurs bateaux étaient si légers qu'on les transportait sur des chariots, d'une rivière à une autre : et les pirates qui entraient dans l'embouchure de la Seine ou du Rhin pouvaient descendre sur le cours rapide du Rhône jusque dans la Mer méditerranée. Sous le règne de Valentinien, les Saxons ravagèrent les provinces maritimes de la Gaule." (Gibbon, Histoire du Déclin et de la Chute de l'Empire romain, Rome de 96 à 582, Robert Laffont, Malesherbes 1984, p. 727-729)
Au VIIe s., sous Dagobert, les Saxons menacèrent la frontière nord (627), puis au VIIIe, sous Pépin le Bref (roi des Francs 751-768), ils reprirent également leurs raids. "Ces barbares adoraient les fontaines, les arbres, les bois sacrés; ils croyaient aux sorciers; ils pratiquaient des sacrifices animaux et humains et le cannibalisme rituel; ils incinéraient leurs morts. A l'égard du christianisme, ils ressentaient une haine farouche et ils pourchassaient les clercs jusqu'à ce qu'ils aient quitté le pays ou qu'ils aient été mis à mort. Une manifestation de cette aversion du nom chrétien fit éclater le conflit." (Jean CHELINI, Histoire religieuse de l'Occident médiéval, Pluriel, Millau 2012, p. 153-154).
NdCR.]
(2) soumettre ce peuple païen pour renforcer son alliance avec la papauté.
(3) obtenir du butin à redistribuer à ses vassaux, pour s'assurer de leur fidélité.
Les Saxons sont de féroces guerriers, farouchement attachés à leurs croyances et leur indépendance. Leur territoire est constitué de marécages et de forêts profondes propices aux embuscades - art dans lequel ils excellent.
Mais Charlemagne a confiance dans son armée, la plus puissante et la mieux équipée de son temps. Ayant bénéficié des réformes militaires de son grand-père, Charles Martel, et surtout de son père Pépin le Bref, ses unités d'élite sont les scarae, redoutables cavaliers combattants aussi bien à pieds que montés.
Après avoir réuni environ 15000 hommes, Charlemagne franchit le Rhin et entre en Saxe. Organisés en plusieurs colonnes parfaitement ravitaillées, les Francs progressent rapidement.
Aucune fortification ou obstacle naturel ne leur résiste, à la grande stupéfaction des Saxons. Les Francs convergent alors vers l'importante place forte d'Eresburg, qui est prise après un siège rondement mené. Reconstruire, Eresburg devient la principale base militaire franque en Saxe.
Près d'Eresburg, les Francs découvrent l'Irminsul, gigantesque frêne servant de lieu de culte aux Saxons. Charlemagne le fait abattre et, en lieu et place, fait dresser un immense crucifix.
Vaincus, les nobles saxons prêtent serment au roi des Francs, et se convertissent au christianisme.
Fin 772, Charlemagne quitte la Saxe en vainqueur avec un énorme butin et des dizaines d'otages. Il charge l'évêque anglo-saxon Willihad de poursuivre l'évangélisation du pays, et laisse la gestion du pays à son cousin- le comte Thierry- se tournant désormais contre les Lombards et les Arabes.
Cependant, dès le départ du roi Charles, Thierry fait face à des actes de rébellion, notamment dans le centre et l'Est du pays. Malgré une sévère répression, les pillages d'églises et de monastères se multiplient.
La situation s'aggrave en 779 : un guerrier nommé Widukind prend la tête de l'ensemble des forces rebelles. Surnommé le "duc des Saxons", Widukind s'était réfugié au Danemark pour échapper aux Francs et à la conversion forcée. Galvanisés par ce nouveau chef, beaucoup de Saxons renient le christianisme et reprennent les armes.
En 782, le soulèvement est généralisé. Les garnisons isolées et les colons francs sont impitoyablement massacrés par les hommes de Widukind. Celui-ci regroupe alors toutes ses forces dans le Massif du Süntel, au centre du Pays. Il y constitue une véritable armée prête à déferler sur les possessions franques. Prudent, Thierry échafaude un plan pour encercler l'ennemi. Mais ses lieutenants Adalgis et Gilon désobéissent et avancent seuls vers Widukind. Les Saxons interceptent la colonne franque près du village d'Hausberg.
C'est un véritable massacre. Adalgis et Gilon sont tués, avec sans doute plusieurs centaines de soldats francs.
Après cette victoire, Widukind et ses hommes sont convaincus d'avoir triomphé de la menace franque. C'est mal connaître Charlemagne. Sa volonté de soumettre les Saxons - désormais parjures - devant lui et devant le Christ - est décuplée. Il pénètre à nouveau en Saxe à la tête d'une force considérable (sans doute 25000 hommes). Dès son arrivée à Verden, il fait exécuter -en un seul jour- 4500 partisans de Widukind. Puis il publie le capitulaire De partibus saxonis (785), surnommé par les Saxons "la loi du fer de Dieu". Celui-ci punit de mort tout individu refusant de se convertir au christianisme.
Widukind défie alors les Francs en bataille rangée, près de Teutberg, où Arminius vainquit les Romains en l'an 9. L'armée franque est bien préparée et commandée par Charlemagne en personne. Les Saxons sont écrasés. Widukind ne parvient à s'enfuir qu'avec sa garde rapprochée. Quelques semaines plus tard, Charlemagne surprend le reste des forces saxonnes le long de la rivière Hase. Les Saxons sont à nouveau terrassés, mais Widukind reste introuvable.
Fin 783, Charlemagne décide de ne pas rentrer en France, et de passer l'hiver en territoire ennemi - fait exceptionnel durant son règne. Sans relâche, ses escadrons ravagent la Saxe afin de couper tout ravitaillement à Widukind.
Isolés et épuisés, le duc des Saxons et ses derniers compagnons sont alors contraints à la reddition. Charlemagne épargne la vie de ses prisonniers en échange de leur conversion. Symbole de sa victoire, il devient le parrain de Widukind.
Le roi des Francs tourne alors ses forces vers la Frise, toujours prompte à la révolte. Puis il conquiert la Bavière, et entre en Pannonie où il soumet les Avars, descendants des terribles Huns.
En 796, les Saxons excédés par la dîme se révoltent à nouveau. Le soulèvement prend une ampleur inédite, les Saxons trouvant le soutien des tribus slaves païennes et de mercenaires Avars.
De 796 à 798, les Francs mettent littéralement la Saxe à feu et à sang, écrasant les Saxons et leurs alliés. Sans doute jamais auparavant un pays n'eut à subir pareille dévastation.
En 799, les marais de Wihmodie, au nord, sont le dernier refuge de la résistance saxonne. Avec ses fils Charles et Louis, Charlemagne y extermine tous les hommes en âge de combattre. Puis il déporte vers la France des milliers de femmes et d'enfants, qu'il remplace par des colons.
En 804, les soldats francs ravagent une dernière fois une Saxe exsangue, qui n'oppose plus la moindre résistance. Il s'agit traditionnellement de la date choisie pour marquer la fin des guerres saxonnes.
Au terme de ce long conflit, la Saxe est intégrée directement au Regnum francorum, en tant que duché. Des échanges durables s'établissent entre Francs et Saxons, avec le christianisme comme ciment.
En 797 et 802, Charles rédige des capitulaires plus souples, accordant l'égalité politique aux Saxons, tout en respectant certains particularismes.
En 962, Othon Ier cherchera à se rattacher symboliquement à l'empereur lorsqu'il fondera le "Saint empire germanique".
Mais dans la mémoire collective germanique, Charlemagne reste le "boucher des Saxons"... l'envahisseur latinisé venu de l'Ouest, auquel on préfère des figures locales comme Arminius ou Widukind.
En France, le règne de Charles Ier "le Grand", avant tout "roi des Francs", laisse le souvenir d'une période de paix et de prospérité à l'intérieur du Regnum francorum originel. Un âge d'or qui inspirera les premiers chefs d'oeuvre de la littérature française.