Invitée de Tv-Libertés, l'historienne Marion Sigaut évoque son ouvrage "Le tournant de la régence", quatrième opus de la collection "Les manuels d'Histoire de Marion Sigaut".
Extrait:
"Les jansénistes, c'est l'hypocrisie de la bigoterie. Les jansénistes voulaient non pas seulement régenter l'Eglise, ils voulaient que la société civile puisse connaître des affaires de sacrements et de dogme.
Les jansénistes voulaient que la religion soit soumise à l'état. C'est-à-dire que les points de dogme et de sacrements soient sous l'autorité des juges et même des avocats. Une chanson chantée à l'époque pour se moquer des jansénistes disait 'Avant vous croyiez que les papes ou les cardinaux étaient compétents pour juger des points de dogme, aujourd'hui pas du tout, c'est les avocats, les avocats, les avocats !' C'est-à-dire que ce sont des gens qui ont voulu soumettre la religion à l'état et ils appelaient cela 'la laïcité'. [...] Et les jansénistes ont poursuivi en justice des curés qui avaient refusé en leur âme et conscience de donner la communion à des pénitents qui n'étaient pas en état de la recevoir.
Sans aller jusqu'à aujourd'hui, on va trouver une illustration très parlante de la victoire des jansénistes dans la 'Constitution civile du clergé' [Décret unilatéral de l'Assemblée dite "nationale" du 12 juillet 1790. Ndlr.], selon laquelle le clergé n'est plus payé par l'Eglise..., par l'intermédiaire de la dîme [mais par l'état. Cette "constitution" donnait statut de citoyen-fonctionnaire-élu aux membres du clergé. Ndlr.], les prêtres vont être élus par la population. Si par exemple dans un village il y avait un libre penseur, trois protestants et une communauté juive, ils auront accès à l'élection du prêtre qui sera payé par le budget de l'état... [Les évêques seront être élus par l'assemblée des électeurs du département (un électeur pour cent citoyen actif, l'électeur devant justifier un revenu de 150 ou 200 journées de travail). Source: Augustin Gazier, Études sur l'histoire religieuse de la Révolution française d'après les documents originaux et inédits depuis la réunion des États généraux jusqu'au Directoire, Paris, 1887, p. 32, Ndlr.] C'est cela la séparation de l'église et de l'état ?" (Fin de citation)
Ainsi, ce qui caractérise au premier chef l'état moderne, et dans le cadre de l'émergence de la république absolue des Lumières qui entend régenter la religion, ce n'est pas d'abord la sécularisation des doctrines ecclésio- ou théologico-politiques (le roi de France sera sacré jusqu'au dernier, Charles X), "c'est au contraire la détermination strictement théologique de cette nouvelle figure de l'état absolu, qui passe prioritairement par une re-sacralisation de l'état..." (Cf. Fanny COSANDEY, Robert DESCIMON, L'Absolutisme en France, Histoire et historiographie, L'histoire en débats, Points Histoire, Paris 2002, p. 102) Un état qui en quelque sorte devient lui-même religion et qui fait qu'aujourd'hui par exemple une république soit disant "laïque" créer de toute pièce un "islam de France" (mise à mort de la loi de 1905) et voit un de ses ministres de l'intérieur réclamer le financement public des imams, c'est-à-dire la fonctionnarisation de l'islam... C'est sans doute dans cette direction que l'historiographie de l'absolutisme en France s'orientera les prochaines années.
Enfin, Marion Sigaut rappelle que "cette "Constitution civile du clergé" (1790) est ce qui a déclenché la guerre civile" en 1793-1794. Or, trois ans avant le déclenchement de la Guerre de Vendée, le pape Pie VI écrivit le 9 juillet 1790 à Louis XVI : "Nous devons vous dire avec fermeté et amour paternel que, si vous approuvez les décrets concernant le Clergé, vous induirez en erreur votre Nation entière, vous précipiterez votre Royaume dans le schisme et peut-être dans une guerre civile de religion." (Cité in Jean de Viguerie, Christianisme et Révolution, Paris, 1986, p. 82.)
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