Dans un entretien à l'Homme nouveau, Mathieu Bock-Côté, sociologue québecois, explique qu'"il est possible de contester les fondements de Mai 68". Extrait :
"[L]a véritable nouveauté, c’est qu’il est possible aujourd’hui de contester les fondements de la révolution 68 et non pas uniquement ses dérives. On se délivre ainsi du dispositif idéologique progressiste – j’entends par là que le progressisme n’accepte généralement d’être critiqué qu’à partir de ses propres principes. Il est permis de lui reprocher d’aller trop loin ou d’aller trop vite, mais on ne saurait lui reprocher dans la mauvaise direction. Ceux qui veulent faire autrement sont diabolisés. La droite avait accepté l’interdiction au point de consentir à évoluer dans le périmètre de respectabilité tracé par le progressisme.
C’est peut-être ce qui éclate en ce moment. On ne se contente plus de dénoncer les effets pervers et les conséquences désastreuses de Mai 68. On remonte directement aux causes : on le critique dans ses fondements anthropologiques. Quelle conception de l’homme s’est imposée dans la dynamique des radical sixties ? On commence à comprendre que l’homme ne court pas seulement derrière l’accroissement des biens matériels ou des prestations sociales."
Note de Christ-Roi. La découverte est que la modernité, débutée au XIVe siècle avec le nominalisme et continuée avec le progressisme au XVIIe siècle et accomplie dans la démocratie moderne, a amputé la nature de l'homme.
"Il est possible de contester les fondements de Mai 68" simplement parce que les révolutionnaires et les progressistes reconnaissent eux-mêmes que le "progrès" a été un échec. Ainsi, selon le mot même de Vincent Peillon dans un entretien au Monde des religions, le 1er mars 2010, intitulé "Vincent Peillon: vers une république spirituelle?"),
"Nous avons échoué. Nous avons fait des révolutions, mais des révolutions matérielles, et nous avons laissé les esprits, mais aussi tout ce qui est de l'ordre charnel dans l'existence, de ritualisations (le baptême, l'enterrement, etc.) être géré par l'Eglise catholique. [...] Il faut que nous inventions pour établir la république, une spiritualité, voire une religion spécifique".
Et dans un entretien aux Editions du Seuil le 08 octobre 2008, il précisait :
"la Révolution française a échoué parce qu'on ne peut pas faire exclusivement une Révolution dans la matière, il faut la faire dans les esprits. Or on a fait une Révolution essentiellement politique, mais pas la Révolution morale et spirituelle. Et donc on a laissé le moral et le spirituel à l'Eglise catholique. Donc, il faut remplacer cela. Et d'ailleurs l'échec de (la Révolution) de 1848, où l'Eglise catholique et des prêtres sont venus bénir les 'arbres de la liberté' des révolutionnaires, c'est la preuve que l'on ne pourra jamais construire un pays de liberté avec la religion catholique. Mais, comme on ne peut pas non plus acclimater le protestantisme en France comme on l'a fait dans d'autres démocraties, il faut inventer une religion républicaine. Cette religion républicaine, qui doit accompagner la révolution matérielle, mais qui est la révolution spirituelle, c'est la laïcité."]
Les "progressistes" comprennent et reconnaissent eux-mêmes l'erreur du progressisme et de la modernité, qui avait prétendu émanciper l'homme d'un ordre de la nature voulu par un Premier moteur intelligent où chaque être a sa finalité propre, pour ne plus retenir que le matérialisme... Tout cela n'est pas allé sans effets pervers au cours des siècles : individualisme, liberté laissée à la subjectivité de chacun, société marchande où le conflit entre liberté et égalité ne peut se résoudre, toujours provisoirement, que par une croissance économique toujours plus forte et permettant de distribuer toujours plus de richesses au prix d'une destruction de la nature. Ainsi, précisons ici que l'écologisme authentique n'est pas, ne peut pas être "de gauche", de cette gauche qui en 1789 avait proclamé la mort de Dieu et donc de la Création. L'aveu est essentiel : il démolit le fondement philosophique de la modernité par ceux-là mêmes qui en étaient les acteurs ! L'édifice moderne s'écroule sous nos yeux, la croyance dans le "progrès" s'effondre, le "progrès" depuis deux siècles a été un échec, et ce sont les révolutionnaires eux-mêmes qui le disent...
Lire aussi : Patrice Gueniffey : "La Révolution est morte" (Conférence du 3 octobre 2011) :
"Ce qui s'est effondré surtout avec le communisme c'est la croyance à un sens de l'histoire, la croyance que l'histoire aurait un sens, croyance qui avait occupé une place centrale dans la culture occidentale et pas seulement communiste, depuis plus de deux cents ans, puisqu'elle était née au XVIIIe siècle.
[...] Aujourd'hui, chacun se rend compte, chacun d'entre vous se rend compte, que l'histoire continue, qu'elle va continuer d'une manière indéfinie, mais personne ne peut lui donner un sens ou personne ne peut dire dans quelle direction elle va."
Allons plus loin. Le "progrès" s'effondre, il va "dans la mauvaise direction", parce qu'il s'est trompé sur la nature de l'homme. En cours de route, il s'est perdu dans un trou noir, un vide-réalité (subjectivisme, individualisme, matérialisme) qui le laisse seul et est en train de se refermer sur lui des suites des effets pervers qu'il a engendré. En dehors, la terre continue de tourner... Il s'agit simplement, pour nous, d'accompagner doucement le mouvement en redécouvrant la vérité de la double nature de l'homme : matérielle, et spirituelle, et d'affirmer à nouveau les vérités de la Foi.
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