Sans doute une des meilleures conférences d'Etienne Chouard sur la "démocratie", avec des rappels de certaines vérités historiques soigneusement occultées par l'oligarchie.
Etienne Chouard ne conteste pas la nécessité de représentants dans un grand pays du fait de l'impossibilité de réunir des millions de citoyens ensemble et en même temps pour voter les lois. Il analyse bien les vices du gouvernement représentatif. Il propose dans le débat suite à la conférence un mix de démocratie dans les communes au niveau local, et une aristocratie en haut.
Lire : Le changement de régime : un mélange entre aristocratie, démocratie et monarchie
E. Chouard ne perçoit néanmoins pas totalement les contradictions de la démocratie (Cf. Nos commentaire en surligné orange). Célèbre défenseur de la rédaction d'une constitution par les citoyens eux-mêmes et non par les professionnels de la politique, il n'en cerne pas non plus totalement les contradictions et les dangers.
Conférence-Débat d'Etienne Chouard sur le 'Procès du processus électif représentatif', le 9 décembre 2016.
Extrait :
"On n'arrive simplement pas à penser à l'endroit avec les mots à l'envers. Progressivement, les responsables successifs pendant deux cents ans du système de domination capitaliste parlementaire ont mis littéralement tous les mots à l'envers : la démocratie, la constitution, citoyen, suffrage universel, etc. Tous ces mots sont mis à l'envers. Et on n'arrive pas à formuler ce dont on a besoin parce qu'on n'arrive pas à penser à l'endroit."
(NdCR. Sur la différence entre la démocratie antique et la démocratie moderne, lire : Les fondements philosophiques de la démocratie moderne (Maxence Hecquard) - La nature totalitaire de la démocratie moderne ; Sur l'inversion du sens des mots, lire : Subversion du langage : Un poème d'Armand Robin qui explique le programme des deux derniers siècles)
[...] La démocratie, dêmos (peuple), kratos (pouvoir), normalement, c'est un régime politique où c'est le peuple qui a le pouvoir.
Cela peut être une tribu indienne en Amérique, des pirates sur un bateau, c'est le peuple qui vote les lois. Cela peut être des sociétés que l'on appelle primitives, cela peut être des villages au Moyen-Âge. Au Moyen Âge, les Français votaient leurs lois. On n'a pas appris cela à l'école. On apprend que c'est un âge sombre, on brûle les sorcières avec l'Inquisition. Et ils votaient leurs lois à main levée.
[...] Il y a plein de démocraties dans les petites sociétés. Très souvent, quand les humains sont peu nombreux, ils se respectent mutuellement et on n'imagine pas d'adopter une lois sans que tout le monde soit d'accord. Et d'ailleurs, dans ces sociétés démocratiques, dans les petites sociétés, il n'y a pas besoin de police, parce que la police c'est fait pour faire appliquer les lois votées par une majorité pour que la minorité obéisse. Sinon, il n'y a pas besoin de police, quand tout le monde a voté la loi.
Aujourd'hui, il suffit d'ouvrir les yeux pour s'apercevoir qu'on n'est pas en démocratie (on n'est pas dans une démocratie entendue au sens de pouvoir du peuple, par contre on est bien dans une démocratie moderne. Cf. Maxence Hecquard, Les fondements philosophiques de la démocratie moderne. NdCR.) Nous ne votons pas nos lois, nous ne participons à l'élaboration des lois. Et cela n'est pas un régime dégradé, qui l'était et qui progressivement le serait devenu moins. C'était comme cela dès l'origine : Sieyès en France, Madison aux Etats-Unis. Les penseurs du gouvernement représentatif savaient qu'ils établissaient une anti-démocratie, un régime politique dans lequel on était sûr que le peuple était bien tenu à l'écart et n'avait aucun pouvoir. Ils le savaient, et ils le disaient explicitement. (Cf. Lire : Francis Dupuis-Déri, Démocratie. Histoire politique d'un mot, Lux éditeur, 2013) .Simplement ils se sont aperçus une cinquantaine d'années plus tard, au XIXe siècle, que pour gagner les élections, c'était beaucoup plus facile de dire qu'on était 'démocrate', 'progressiste'. Et les partis politiques sont nés avec l'élection. Un parti cela ne sert qu'à cela.
[...] Donc, une démocratie ce serait le régime dans lequel nous voterions nos lois au lieu de désigner des maîtres.
[...] Ce que je crois comprendre en ce moment, c'est qu'une constitution, cela sert à affaiblir les pouvoirs, cela sert à inquiéter les pouvoirs, cela sert à diviser les pouvoirs pour qu'ils ne nous oppriment pas. Une constitution digne de ce nom, ce devrait être une sécurité pour les humains. [NdCR. Il y a là des objections logiques à faire. Qu'est-ce qu'une constitution fondée sur les droits de l'Homme de 1789 (Article 3 - ), souveraineté nationale qui prône que le fondement du pouvoir c'est la Souveraineté du peuple et qui dans le même temps chercherait à affaiblir les pouvoirs, c'est-à-dire affaiblir la souveraineté du peuple, donc affaiblir ou diminuer le pouvoir du peuple ? Première contradiction.
"Comment est-ce que cela fonctionne ? On nous explique : "cela fonctionne en fonction de la représentation populaire", "le peuple choisit"..., mais cette représentation populaire, Rousseau la rejette. Rousseau nous dit : "la souveraineté ne peut pas être déléguée". Deuxième contradiction.
Rousseau nous dit aussi, "la souveraineté ne peut pas se diviser". Or, on nous dit que la souveraineté est divisée en pouvoir législatif, en pouvoir exécutif, et en pouvoir judiciaire. C'est la séparation des pouvoirs pour que les pouvoirs "ne nous opprime pas" (sic). Qu'est-ce que cela veut dire d'être "Souverain" si on n'est souverain que sur un point particulier et pas sur le reste ? (Maxence Hecquard) Troisième contradiction.
Qu'est-ce que cela veut dire qu'une souveraineté du peuple qui se divise et s'auto-annule pour protéger le peuple ? Quatrième contradiction.
De même en décrétant législativement que les hommes naissaient libres par nature et par droit, les révolutionnaires n'ont-ils pas fantasmé la nature et attribué au droit ce qu'il ne pouvait pas faire ? On n'est libre que par don et l'on se trompe si l'on croit garantir la pérennité d'un don en décrétant qu'il est naturel ou en en proclamant le droit... Un don est beaucoup plus pérenne que la nature. Si les hommes naissaient libres, c'est que cela se ferait naturellement et il est donc contradictoire de le décréter par écrit. Ce qui est écrit est justement ce qui n'est pas naturel et a besoin de cet écrit pour exister". (J.M. POTIN, Liberté, Egalité Fraternité, in Le Livre noir de la Révolution française, Cerf, Condé-sur-Noireau 2008, p. 421.) Cinquième contradiction. Donc, vous le voyez, la démocratie est en réalité pleine de ces contradictions.]
[...] Quand on est très nombreux, on a sans doute besoin de désigner des représentants, poursuit E. Chouard, mais cela devrait être à nous de décider comment on les désigne, comment on les contrôle et comment on les punit quand ils ne respectent pas leurs engagements, poursuit Etienne Chouard. Donc une constitution cela devrait un texte qui inquiète les pouvoirs. Or, partout dans le monde, je ne connais pas d'exemples contraires, ce sont les professionnels de la politique qui écrivent les constitutions. Et si ce texte doit inquiéter ceux qui sont au pouvoirs, il ne faut pas que ce soit eux qui l'écrivent. [Si ce texte doit inquiéter ceux qui ont le pouvoir, c'est donc que le peuple n'a pas la réalité du pouvoir ? Sixième contradiction dans le gouvernement "représentatif" fondé sur DDH de 1789 article 3.
En réalité la souveraineté ne se délègue pas et ne se divise pas. Raison pour laquelle nous sommes royalistes parce que le roi, seul, est souverain (sa souveraineté venant de Dieu), d'une souveraineté sans contradictions logiques, en tant que personne incarnant la personne morale du peuple. Sous l'Ancien Régime peuple et roi étaient un, c'est la Révolution qui les a divisés pour confisquer le pouvoir et le donner à une caste. NdCR.]
Donc: démocratie à l'envers, constitution à l'envers, citoyen à l'envers, poursuit E. Chouard.
Il me semble que ce qui rend possible le capitalisme, c'est le gouvernement représentatif. Il y avait des tas de germes de capitalisme depuis la nuit des temps, surtout depuis que nous avons adopté le type de monnaie que nous avons : une monnaie privée, rare, chère, qui garde sa valeur, qui implique pour la conserver la cupidité, et toutes sortes de maux. Mais ce qui s'est passé pendant cette période avant le XVIIIe siècle, c'est que les grands marchands, les usuriers avaient contre eux le roi et l'Eglise. Depuis que Jésus avait chassé les marchands du Temple, c'était une vieille affaire. Les humains savaient qu'ils avaient à craindre des marchands ayant pris le contrôle de la politique.
Donc, ils bouillaient d'avoir le pouvoir, mais ils ne l'avaient pas. On ne peut pas appeler 'capitalisme' les régimes avant les révolutions, révolutions bourgeoises en Angleterre, en France et aux Etats-Unis. Parce que les marchands étaient tenus.
Il y a un fait historique très important pour comprendre le monde dans lequel on vit aujourd'hui: sous l'Ancien Régime, il y avait une police du Roi empêchait les marchands d'entrer sur les marchés. Son rôle était d'assurer les subsistances en empêchant les marchands de se présenter les premiers sur les marchés, de rafler avec leur argent tout le blé, en créant une rareté immédiate des denrées, cette rareté entraînant la hausse des prix, et ensuite, relâchant au compte-goutte le blé pour se faire des fortunes pendant que le reste de la société crève de faim. C'est pour cela qu'on se protégeait des marchands. On les appelait les accapareurs, les spéculateurs, les agioteurs. Ces gens-là raflent tout ce dont nous avons besoin et ensuite, une fois que les prix ont monté, menacés par la famine nous sommes obligés de leur donné tout notre argent. En tout cas, c'était le Roi qui protégeait la société contre les marchands.
Et une des premières expériences libérales, c'était en 1775, Turgot, un physiocrate (ancêtre du libéral), a décidé de supprimer la police du Roi, de l'empêcher de jouer son rôle d'interdiction. Les marchands sont entrés sur les marchés, ils ont tout raflé et cela a entraîné des famines et des émeutes. Et quand les émissaires revenaient auprès de Turgot pour lui dire que les gens mouraient de faim, qu'un homme seul ne pouvait plus nourrir sa famille, vous allez voir comment cela ressemble à aujourd'hui, la réaction de Turgot a été de dire : 'mais c'est normal qu'un homme seul ne puisse pas nourrir sa famille, il faut faire travailler toute la famille ! Il faut que les femmes travaillent, il faut que les enfants travaillent.' Et le libéralisme c'est cela. C'est la mise au travail forcé de toute la société.
Mais cela n'a été vraiment possible qu'au moment de la Révolution française. Ce qui a rendu possible, ce qui a littéralement déchaîné, retiré leurs chaînes aux marchands, ce sont les révolutions, qu'on nous présente à l'école comme des révolutions 'démocratiques', alors qu'en fait ce sont des révolutions bourgeoises, où les marchands ont obtenu quelque chose de catastrophique pour nous : la possibilité d'écrire les lois. Ce qu'ils ne pouvaient pas faire avant.
Ce qui est terrible avec 1789, c'est qu'ils ont agité le peuple avant de s'en servir, ils l'ont affamé. Et le peuple s'est révolté par la rupture du contrat entre le peuple et le Roi. Et - ce qui était nouveau dans l'histoire - ils ont écrit une constitution.
Et dans cette 'Constitution' (la première est celle de 1791. NdCR.), ils ont décidé que le mode de désignation des acteurs politiques allait être l'élection.
Or l'élection permet aux plus riches d'aider les candidats, et de les faire gagner. Lesquels, débiteurs en deviennent les serviteurs.
Les vices de l'élection, du point de vue des gouvernés et du Bien commun
(1) L'élection nous infantilise et donc elle nous décourage. L'élection est aristocratique, les philosophes le savaient (mais ils étaient tous contre la démocratie, seuls les sophistes étaient pour) elle tient à l'écart tous ceux qui ne font pas partie des 'meilleurs'. Et Aristote savait déjà que la plupart des aristocraties, avec l'hérédité, dérivaient vers l'oligarchie (le gouvernement de quelques-uns qui ne sont pas les meilleurs). [C'est vrai aussi pour la démocratie puisque à Athènes, c'était une oligarchie sous Périclès qui ne se laissait pas diriger par la foule : "au lieu de se laisser diriger par elle, il (Périclès) la dirigeait. ... Sous le nom de démocratie c’était en fait le premier citoyen qui gouvernait" (Thucydide, Guerre du péloponnèse, II, 45, 5 ; 8-9).]
Tous les penseurs savaient que l'élection est aristocratique et que le tirage au sort est démocratique. Platon le savait, pourtant il était anti-démocratique, tous les philosophes étaient à 90% opposés à la démocratie. [Ils étaient en réalité opposés à la démocratie dans son sens moderne comme coupée de l'ordre naturel et conduisant au règne de l'immoralité et du plus fort. NdCR.]. Il n'y avait que les sophistes qui défendaient la démocratie [les sophistes étaient démocrates comme nos "modernes" parce qu'ils niaient l'ordre naturel et que leur doctrine conduisait à l'immoralité comme à l'amoralité et à la loi du plus fort. NdCR.].
(2) Elire, c'est abdiquer. Elire, c'est désigner quelqu'un qui va décider à ma place, c'est renoncer à ma souveraineté. Et les élus, leurs talents c'est de nous faire croire que nous exerçons notre souveraineté en les élisant.
(3) L'élection nous déresponsabilise, et nous décourage. Elle nous dépolitise complètement, elle nous désapprend à faire de la politique.
(4) L'élection, parmi les candidats, sélectionne les pires, pratiquement tout le temps. Il y a parfois quelques exceptions.
(5) L'élection favorise et incite à la corruption. L'élection donne le pouvoirs à ceux qui le veulent. Ce qui est déjà un levier pour la corruption. Parce que s'ils veulent le pouvoir, ils seront prêts à lâcher quelque chose pour l'avoir.
Or, depuis Platon [1], les philosophes en ont écrit des tartines pour dire qu'il ne fallait pas donner le pouvoir à ceux qui le veulent [aujourd'hui il ne faudrait pas donner le pouvoir à ceux qui sont "candidats" à la présidentielle par exemple... NdCR.] Ceux qui veulent le pouvoir ne sont pas comme les autres, il faut s'en méfier, et si on peut, il vaut mieux pas leur donner.
L'élection favorise le mensonge. C'est celui qui mentira le mieux qui sera élu ! Exemple : "mon ennemi, c'est la finance" (F. Hollande. NdCR.), il sera donc élu ! L'élection donne des prises aux escrocs. Favoriser ou donner une prime au mensonge, c'est de la corruption.
L'élection fabrique des maîtres au-dessus de nous. Elle hisse au-dessus de nous quelqu'un qui est le meilleur (aristos).
L'élection fabrique des maîtres hors contrôle et une caste de maîtres hors contrôle.
(6) L'élection impose scientifiquement les partis. Quand il n'y avait pas d'élections, il n'y avaient pas de partis. Dans une logique de guerre, les partis nous empêchent de fraterniser, ils nous condamnent à la division et à la discorde. [C'est le diviser pour mieux régner. Cf. Le principe du moteur de la Révolution]
(7) Le 7e point fait le lien entre l'élection et le capitalisme : l'élection permet d'aider les candidats. Et ceux qui ont les moyens d'aider les candidats - les plus riches - vont le faire. Ah, oui je sais, c'est complotiste !... Mais un journaliste qui renonce à dénoncer les complots, c'est comme une arme qui a été désactivée. Le journaliste ne peut plus faire son travail. L'anti-complotisme est une maladie anti-démocratique.
Les candidats qui ont gagné et qui sont élus en ayant été aidés, ils sont débiteurs de ceux qui les ont aidés. Ils deviennent des débiteurs serviteurs. C'est pour cela que les élus servent la banque. Pourquoi tous les grands journaux ont-ils été achetés par des milliardaires ? Ils ont été achetés pour gagner les élections. Celui qui va gagner l'élection est celui qui a été le plus vu ou médiatisé. Et ensuite les débiteurs font voter les lois de leurs maîtres, qui sont devenus riches économiquement et politiquement, en devenant des législateurs. Les riches se sont mis à écrire leurs lois à eux. C'est cela le capitalisme.
(Fin de citation)
Notes
[1] "Voici là-dessus quelle est la vérité : la cité où ceux qui doivent commander sont les moins empressés à rechercher le pouvoir, est la mieux gouvernée et la moins sujette à la sédition, et celle où les chefs sont dans des dispositions contraires se trouve elle-même dans une situation contraire". (Platon, La République VII /520c-521c)
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