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17 juin 2016 5 17 /06 /juin /2016 14:20
L'usure. Par Marion Sigaut

En France, au "Moyen-Âge" et sous l'"Ancien Régime", le droit canonique de l'Eglise catholique interdisait formellement de prêter de l'argent avec intérêt. Ce concept avait déjà été édicté par Aristote et fut repris et développé par saint Thomas d'Aquin. Depuis le Concile de Nicée en 325 ap. J.-C. (canon 17) jusqu'à la révolution de 1789, en passant par l'Admonitio generalis d'Aix-la-Chapelle de 789, le capitulaire de Nimègue de Charlemagne (806) et le capitulaire d'Olonne de Lothaire (825), le décret de Gratien vers 1140, le "droit divin" avait donc été le rempart aux maîtres de la monnaie.

En accord avec les règles de l'Eglise, l'Europe a interdit les intérêts sur prêts de monnaie en qualifant ce délit d'"usure". Les textes scripturaires fondant ce délit se trouvent dans l'Ancien Testament (Deutéronome 23-20 "Tu ne prêteras pas à intérêt à ton frère, qu'il s'agisse d'un prêt d'argent, ou de vivres, ou de quoi que ce soit dont on exige intérêt"; Psaumes 14-2,5; Ézéchiel) comme dans le Nouveau (Luc 6. 34,35 "Et si vous prêtez à ceux dont vous espérez recevoir, quel gré vous en saura-t-on? Même des pécheurs prêtent à des pécheurs afin de recevoir l'équivalent. Au contraire, aimez vos ennemis, faites du bien et prêtez sans rien attendre en retour").

 

L'intérêt était contraire à la raison et à la justice. Cette condamnation et cette interdiction du prêt à intérêt fonda l'économie française jusqu'à la Révolution française où les banques prirent le pouvoir. Ainsi, à propos de Napoléon et du bourgeois du début du XIXe siècle, Régine Pernoud précise :

 

"Même s'il n'appartient pas nommément à la haute banque, alors tout entière juive ou protestante, même s'il ne fait pas partie de ces dynasties de Brumairiens qui, une quarantaine d'années auparavant ont installé Napoléon, lequel en retour a aussitôt installé la Banque de France, la fortune de notre bourgeois repose avant tout sur son activité financière." (Régine Pernoud, La Bourgeoisie, Que Sais-je ?, p. 8-9.)

 

Dans le cadre de ses chroniques pour MPI-TV, l'historienne Marion Sigaut a abordé cette question de l'usure. Elle explique que la France a été le dernier pays à interdire le prêt à intérêt, autorisé à partir de la Révolution de 1789.

 

Dans l'Antiquité on parlait d'esclavage pour dette. L'Eglise, dès ses débuts avait pris position contre l'usure. Dans le monde romain, le prêt à intérêt était d'usage constant; on sait par Cicéron qu'en un temps il atteignait 12%. (Daniel-Rops, Histoire de l'Eglise du Christ, tome IV La cathédrale et le Croisade, Librairie Arthème Fayard, Editions Bernard Grasset, Paris 1965, p. 246) et que les empereurs chrétiens luttèrent contre l'usure (Michel de Jaeghere, Les Derniers jours, La fin de l'Empire romain d'Occident, Perrin Collection Tempus, Malesherbes 2016, p. 89).

 

Or il faut savoir que le prêt à intérêt est une de ces grandes conquêtes des Encyclopédistes et des "Lumières", qui font le malheur des peuples depuis et nous ont mis en esclavage.

 

Le Moyen Âge entier reçut le sublime enseignement de la Cité de Dieu de Saint Augustin, qui condamne formellement le prêt à intérêt, selon les vues habituelles des Pères de l'Eglise, qui s'expliquent pour beaucoup par l'extension affreuse qu'avait prise l'usure dans le Bas Empire. (Cf. Daniel-Rops, Histoire de l'Eglise du Christ, tome III L'Eglise des temps barbares, Librairie Arthème Fayard, Editions Bernard Grasset, Paris 1965, p. 52.)

 

D'une façon générale, l'influence de l'Eglise contribua à faire respecter et à protéger tout ce qui était faible et menacé par principe : les veuves et les orphelins; les débiteurs pour lesquels il était interdit aux créancier d'abuser de leurs droits et de les exploiter (nombreuses furent les décisions des conciles qui condamnèrent le prêt à intérêt comme une exploitation du pauvre); les femmes,  trop souvent laissée sans défense devant la brutalité des hommes, les esclaves, peu à peu affranchis du fait des canons de l'Eglise les concernant.

 

La condamnation de l'usure : une idée fondamentale de la chrétienté médiévale

 

"Nous condamnons cette détestable et approprieuse , mauvaise, déloyale rapacité des prêteurs d'argent, condamnés par les lois divines et humaines, dans l'Ecriture, le Vieux et le Nouveau Testament, et nous en retranchons les adeptes de toute consolation ecclésiastique, pour que nul archevêque, nul évêque, nul abbé de quelque ordre que ce soit, ou quiconque dans les ordres ou le clergé, ne les reconnaisse, à moins d'infamie perpétuelle, et ils seront privés de sépulture chrétienne, à moins qu'ils ne se repentent."

(Acte du Concile de Latran, in Daniel-Rops, Histoire de l'Eglise du Christ, tome IV La cathédrale et le Croisade, Librairie Arthème Fayard, Editions Bernard Grasset, Paris 1965, p. 244.)

 

Marion Sigaut évoque deux conciles qui ont confirmé la position de l'Eglise contre le prêt à intérêt et l'usure. Le concile de Latran en 1315 et celui de Paris en 1532 ont condamné le prêt à intérêt comme usure. Dès que vous prêtez de l'argent et que vous récupérez plus que vous avez prêté, il y a usure. Ceci, explique-t-elle, est propre à la société catholique.

 

"Calvin a légitimité le prêt à intérêt. Les protestants font ce qu'ils veulent avec leur argent. Et (à partir du XVIe siècle) en Europe, seuls les rois de France ont continué à appliquer la doctrine de l'Eglise. La France a été le dernier pays à interdire l'usure et le prêt à intérêt.

 

Les jansénistes français qui ont fait beaucoup de protestantisme sans y avoir l'air d'y toucher, sur ce point-là, sont restés fidèles à l'Eglise, et ont continué de condamner le prêt à intérêt.

 

En France, à partir des Encyclopédistes (1745), les "Lumières" ont commencé à attaquer la position de l'Eglise. Refuser le prêt à intérêt, c'est être archaïque, c'est être obscurantiste. Turgot a publié en 1769 un mémoire sur les prêts d'argent. Il disait que "l'intérêt représente le gain que l'on aurait pu faire, si l'on ne s'était pas dessaisi de cette somme." LEncyclopédie définit que "le taux à intérêt est un loyer parfaitement légitime". Les Encylopédistes dénoncent l'interdiction totale par l'Eglise, mais ce qu'ils demandent c'est la liberté totale (du prêt à intérêt). Ils disent que le commerce de l'argent doit être libre et le taux d'intérêt fixé uniquement par l'offre et la demande." Cela s'appelle le renard libre dans le poulailler libre. Laissons faire les marchands, laissons faire ceux qui ont de l'argent.

 

Et qu'est-ce qui a légitimé définitivement le prêt à intérêt ? C'est la Révolution française, qui le 2 octobre 1789 la législation du prêt à intérêt fixe abolissait ce que les rois de France avaient défendu depuis toujours. Et le 25 avril 1794 la Convention nationale décrète que l'argent est une marchandise comme les autres et que l'on peut en faire ce que l'on veut. La suite c'est le monde dans lequel nous vivons et l'esclavage est la conséquence de la dette, comme dans l'Antiquité. L'usure va simplement devenir un prêt à intérêt abusif et le prêt à intérêt est devenu normal.

 

Pourtant la résistance à cela, remonte à loin. Au IIe siècle avant Jésus-Christ, Caton avait écrit un traité d'agriculture dans lequel il fait parler deux personnages. Le premier demande: 'Que dis-tu de l'usure?', le second répond : 'Et toi, que penses-tu de l'assassinat ?'"

 

La dernière condamnation de l'usure par l'Eglise remonte à 1837 où le pape a renouvelé ses antiques prescriptions contre le prêt à intérêt. Le pape fut alors traité de réactionnaire par les bourgeois et les anticléricaux : "Une Eglise qui se trompe de siècle ! Des prohibitions remontant à ces temps obscurs du Moyen Âge pendant lesquels le commerçant était brimé et la manipulation de l'argent interdite !" (R. Pernoud, La Bourgeoisie, Que Sais-je ?, Paris 1985, p. 19.)

 

"Cette législation, précisée dans le Code de droit canon de 1917, qui maintient à l'adresse des clercs l'interdiction de la pratique de l'usure, entend ce mot dans le sens de 'prêt à intérêt', autrement dit : profit tiré d'un prêt d'argent." (R. Pernoud, La Bourgeoisie, ibid., p. 94.)

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