Ancien énarque, homme politique et essayiste français, Ivan Blot se rend régulièrement en Russie puisqu’il participe aux réunions du groupe de Valdaï, un forum international rassemblant des experts dans le but de discuter de la Russie et de son rôle dans le monde. Avec La Russie de Poutine, il signe un lire de philosophie politique pratique édifiant, un livre qui prend le contre-pied des préjugés répandus sur la Russie. Il a répondu à des questions pour Aleteia où il explique notamment les raisons de la méfiance occidentale à l'égard du président russe Vladimir Poutine.
La Fédération de Russie est un État laïque. Mais il y a un renouveau religieux important. La laïcité à la russe n’interdit pas la coopération avec les religions mais selon le principe de la proportionnalité (c’est un peu la laïcité « positive » que Sarkozy avait défendue). L’État aide en fonction de la proportion de citoyens ayant telle ou telle confession : 80% à l’orthodoxie, 10% à l’islam et le reste aux confessions bouddhiste et juive. Ce sont les religions historiquement traditionnelles et admises comme telles. Les musulmans russes dans leur grande majorité sont aussi des patriotes russes. Le grand muphti a demandé aux musulmans de prier pour l’âme de saint serge de Radonège (XIVe siècle) parce qu’il était aussi un grand patriote !
On construit actuellement dans l’agglomération de Moscou plus de 200 églises ! On est dans un monde fort différent de la France actuelle.
La politique familiale est une des grandes réussites de Poutine. La natalité s’est redressée et la population augmente depuis quatre ans. La politique familiale a un volet financier et un volet moral. Par exemple, dès la deuxième naissance, une famille touche 7 000 euros de prime. On l’aide aussi à rembourser les prêts du logement. Les bébés nés le jour de la fête nationale sont qualifiés de « bébés patriotes » et certaines régions offrent une voiture aux parents !
Par ailleurs, le statut moral de la famille est revalorisé. Pas question de « mariage pour tous » et la propagande homosexuelle envers les enfants est interdite. L’État a créé la fête de l’amour du mariage et de la fidélité et décore les couples méritants. Des publicités dans le métro de Moscou vantent les mères qui ont trois enfants.
[...] La méfiance est due à deux raisons, géopolitique et culturelle, voire spirituelle.
Tout d’abord, l’Europe est soumise politiquement aux États-Unis, or ceux-ci ont dévoilé leur politique de domination mondiale dans un livre Le grand échiquier. L’auteur Zbigniew Brzesinski explique que les USA dominent le monde et le civilisent en même temps (sic). Un français appréciera de savoir qu’il doit la civilisation aux Américains ! Mais les USA sont situés sur un continent marginal, l’Amérique alors que le continent eurasiatique rassemble les Européens, les Russes, les Chinois et les Indiens entre autre. Si l’Eurasie s’unifie, elle sera plus puissante que l’Amérique. Le conseiller des présidents américains note que l’Europe reste soumise, qu’il faut surveiller la Chine mais surtout qu’il faut démembrer l’empire russe qui concurrence les USA ; il propose d’abord de séparer la Russie et l’Ukraine d’où le coup d’État qui eut lieu à Kiev et la guerre de Kiev contre ses propres citoyens autonomistes de l’est (Donbass). Ensuite, il propose de diviser entre trois Etats ce qui reste de la Russie : tout cela est exposé sans la moindre gêne. L’ennemi est russe. Aujourd’hui, un autre ennemi est apparu, Daesh, et cela gêne bien les élites américaines.
La deuxième cause de la propagande anti-russe est le côté conservateur traditionaliste et patriote de la Russie. Les élites occidentales ont renié le christianisme et défendent un égalitarisme et un matérialisme agressifs. Les peuples européens et aussi américain commencent à se rebeller contre ces élites qui nient l’héritage de notre civilisation. Poutine a dit que l’Occident était devenu relativiste et mettait sur le même plan les valeurs de Dieu et de Satan. Première conséquence selon lui : l’effondrement démographique. La baisse de la natalité et l’immigration menacent de faire disparaitre l’Occident (voir son « discours de Valdai » de 2013).
Les élites gauchisantes et coupées du peuple (oligarchies) ne supportent pas ce discours de la nouvelle Russie. On voit donc que le malaise est profond mais on doit conserver l’espoir. Les milieux économiques européens sont très hostiles aux sanctions antirusses et veulent coopérer avec la Russie même si cela déplait à l’Amérique. Par ailleurs, les peuples se révoltent peu à peu contre cette nouvelle classe oligarchique qui les dominent et qui n’a que mépris pour les angoisses des simples citoyens face à la criminalité croissante, l’invasion migratoire et l’abandon des valeurs traditionnelles, famille, propriété et patrie. Je pense qu’à l’avenir, l’Europe et la Russie se rapprocheront car l’Histoire, la géographie et nos racines chrétiennes communes nous mèneront à un tel résultat."
Propos recueillis par Jean Muller
La Russie de Poutine d’Yvan Blot. B. Giovanangeli, janvier 2016, 15 euros.
Source: Aleteia