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15 août 2015 6 15 /08 /août /2015 06:35

Depuis notre plus tendre enfance, on interdit aux francophones de se souvenir que la découverte des grands espaces, les aventures et les grands exploits ont été aussi réalisés en français.

Charles-Xavier DURAND, "La Nouvelle Guerre contre l'intelligence III. Un nouveau Programme pour la conscience", éditions François-Xavier de Guibert (2002)

En cette Assomption du 15 août, jour de fête nationale en France, et date de la fête nationale des Acadiens depuis 1881, voici l'histoire des Français d'Amérique (merci à Louis-Marie pour sa contribution), une histoire oubliée, rarement abordée y compris chez nous en France, et qui mériterait pourtant d'être mieux connue.

Yves FRENETTE, professeur canadien à la fine pointe de la recherche, spécialiste de la francophonie nord-américaine et de l’histoire de l’immigration et des groupes ethniques, anciennement directeur de l’Institut d’études canadiennes à l’Université d’Ottawa, invité à l'École nationale des chartes dans le cadre de la conférence « Faire l'histoire de l'Amérique française au XIXe siècle. Sources, méthodes et problématiques », le 9 décembre 2013, expliqua ainsi (à partir de la 17e minute) qu'

"en ce qui concerne l'Amérique française post 1763, nous sommes presque en face d'un désert historiographique. De ce côté-ci de l'Atlantique, seul Ronald CREAGH y a consacré en 1988 une partie de sa synthèse "Nos cousins d'Amérique, Histoire des Français aux Etats-Unis", une série de vignettes sur la Louisiane, les réfugiés royalistes, révolutionnaires et bonapartistes, et surtout, les diverses communautés utopistes fondées par des Français, dont la plupart firent long feu."

Nous espérons que cette petite histoire des Français d'Amérique, illustrée par des images et agrémentée de superbes videos saura (re)donner aux plus curieux le goût d'en savoir plus sur cette histoire interdite :

La Guerre de Cent Ans des Français d'Amérique

Celui qui oublie son passé est mort pour l'avenir.

Euripide

Le texte ci-dessous est tiré de l'ouvrage "La Nouvelle Guerre contre l'intelligence III. Un nouveau Programme pour la conscience" de Charles-Xavier DURAND, éditions François-Xavier de Guibert (2002) (chapitre 1 Rétrospective canadienne sur les conséquences de l'infériorisation des élites - d'après en particulier le travail de Robert SAUVAGEAU, "Acadie, La Guerre de Cent Ans des Français d'Amérique", éd. Berger-Levrault, 1987).

Robert Sauvageau, "Acadie, La Guerre de Cent Ans des Français d'Amérique", éd. Berger-Levrault, 1987

Robert Sauvageau, "Acadie, La Guerre de Cent Ans des Français d'Amérique", éd. Berger-Levrault, 1987

Robert Sauvageau est professeur d'histoire. En tant que tel il préfère porter ses recherches sur les épisodes oubliés de l'Histoire récente ou plus ancienne, plutôt qu'approfondir des évènements connus. Il a publié aux éditions Flammarion "Nettoyage au phosphore", le livre sur la destruction de Hambourg par l'aviation britannique en juillet 1943, un document important sur l'un des évènements les plus spectaculaires et les plus meurtriers de la Seconde Guerre mondiale que les vainqueurs du conflit se sont empressés de faire oublier.

 

Par la suite, en étudiant sa propre généalogie, Sauvageau a découvert que quelques-uns de ses ancêtres avaient été expulsés de Nouvelle-France, avec les soldats français désarmés par les Anglais en 1760: un autre épisode dont la mémoire a été oblitérée de la conscience populaire.

 

En France, la plus grande partie de l'histoire de la Nouvelle-France est passée à la trappe dans les programmes scolaires. Plus de deux siècles de présence française sur le continent nord-américain se résument à une demi-page dans les livres scolaires.

Carte de la Nouvelle-France vers 1750 :

Nouvelle-France-vers-1750.png

Encore aujourd'hui, il est curieux de voir ces francophones, qu'ils soient français, Belges, ou Suisses, venant faire du tourisme au Canada pour la première fois, s'exclamer : "Regardez, les panneaux sont en français!" en arrivant à l'aéroport de Montréal-Mirabel. Ne sommes-nous pas en Amérique ? Ne parle-t-on pas anglais ici ?... Comment rendre compte de cette ignorance à l'égard de la réalité québecquoise ?

"Un peuple ne se souvient guère de ses défaites et de ses échecs", écrit Gilbert Pilleul dans "Compagnons d'Amérique". Il poursuit:

"La défaite française de 1760 au Canada a été, volontairement ou pas, rayée de notre mémoire d'autant mieux que le peu de place accordée à l'histoire de l'Amérique française dans nos programmes d'enseignement contribue à consolider ce phénomène d'amnésie collective... Cela conduit à s'interroger sur l'intérêt porté par les instances officielles de notre éduction nationale au fait français dans le monde. Je ne sais pas s'il existe un seul candidat-bachelier en France qui puisse avec certitude dire où se trouve l'Acadie!... [1] Les civilisations sont mortelles. Ne survivent que celles qui ont le respect d'elles-mêmes, de leurs traditions évolutives, de leur langue... Méritons-nous d'échapper à la louisianisation, cette forme atroce de mort collective?"

Dans la même publication, Charles-Saint Prot écrit:

"L'histoire n'est pas seulement une science, elle n'est pas le culte nostalgique du passé. Elle est au contraire ce qu'il y a de plus vivant parce qu'elle enseigne que pour continuer quelque chose, il faudra bien que nous soyons de chez nous et de notre passé. Quand le concept de modernité s'impose comme un impératif catégorique et ne tend qu'à faire table rase du passé, il conduit à couper l'homme de l'Histoire et à le déposséder de lui-même."

[...] Le poète Euripide ne disait-il pas que "celui qui oublie son passé est mort pour l'avenir" ? Ce propos est on-ne-peut-plus pertinent à propos de l'histoire franco-américaine. Tout d'abord, l'étude de cette histoire nous permet de rejeter sans ambiguïté les explications des manuels de l'Histoire officielle, telle qu'elle a été écrite par les vainqueurs, version à laquelle les vaincus se sont rapidement ralliés, sauf au Québec. Ensuite, ses divers aspects font remarquablement écho à la période contemporaine et illustrent brillamment la pérennité de certaines caractéristiques des peuples, en dépit de l'évolution des régimes politiques. Cependant, son plus grand intérêt est de démontrer indubitablement les dégâts profonds que peuvent causer ceux qui se mettent mentalement en état d'infériorité par rapport à d'autres, plus particulièrement quand il s'agit de décideurs, de chefs d'Etat, de militaires et autres soit-disant "élites". Une société qui arrive à provoquer une telle évolution mentale chez son adversaire prépare parfaitement le terrain de sa victoire et, dans de nombreux cas, elle a déjà gagné avant même d'avoir à prendre les armes.

Aiguillonné par sa curiosité et par la perspective de découvrir et comprendre l'histoire de ses propres ancêtres, Robert Sauvageau a fait des recherches au Centre d'études acadiennes de l'université de Moncton, au Nouveau Brunswick (Canada), au Service historique de l'armée canadienne à Ottawa, aux Archives du Canada et du Québec et au Centre d'études de l'Université Lafayette en Louisianne. Il a publié le résultat de ses recherches [2] en 1987 chez Berger-Levrault. Il s'agit en fait d'un décompte détaillé des guerres qui ont abouti à la chute de la Nouvelle-France et qui met particulièrement l'accent sur les théâtres d'opérations clés, tels que l'Acadie et le Bas Canada. Robert Sauvageau nous livre ses conclusions après avoir dévoilé tous les faits pertinents, qui sont d'ailleurs largement confirmés par les autres sources disponibles. Ses conclusions sont remarquables et font de son étude un ouvrage hors pair pouvant servir à la fois de référence en histoire canadienne et en sociologie des peuples de langue française. Avant de statuer, il apparaît indispensable de résumer les faits.

 

L'histoire oubliée

Entre le moment où la perte du Canada est entérinée par le Traité de Paris (1763) et le moment où Jacques Cartier en prit possession en 1534, à Gaspé, au nom de François Ier, il s'est écoulé 239 ans, soit presque un siècle de plus que l'occupation française en Algérie, une des plus anciennes colonies de la période contemporaine et dont la mémoire est encore vive, à la fois en France et en Algérie.

Verrazano avait pris possession de toute la 'Francescane' ou 'Nouvelle-France', depuis le Nord de la Floride jusqu'à l'Acadie, au nom de François Ier, en 1524, puis le malouin Cartier découvrit l'estuaire du Saint Laurent [3] le 24 juillet 1534. Toutefois, ce n'est qu'après 1600 que l'immigration deviendra significative en Nouvelle-France. [4]

En 1604, la colonisation de l'Acadie, cette région qui constitue au Canada ce qu'on appelle actuellement "Les Maritimes", est entreprise.

Québec (ville) - De haut en bas et de gauche à droite: la porte Saint-Louis, la colline parlementaire (Centre-ville), le Vieux-Québec, le Pont Pierre-Laporte et l'hôtel du Parlement du Québec.

Québec (ville) - De haut en bas et de gauche à droite: la porte Saint-Louis, la colline parlementaire (Centre-ville), le Vieux-Québec, le Pont Pierre-Laporte et l'hôtel du Parlement du Québec.

En 1608, Champlain fonde Québec. Quiconque étudie l'histoire de la Nouvelle-France doit d'abord se familiariser avec les noms des lieux, débaptisés après 1760 par les Anglais. Dans la seule Acadie, il faut distinguer deux régions, l'Acadie occidentale correspondant actuellement à l'Etat américain du Maine et le Nouveau Brunswick canadien, l'île Saint-Jean (rebaptisée l'Île du Prince Edouard) et l'Acadie orientale comprenant l'actuelle Nouvelle-Ecosse et l'Île du Cap Breton (ex-Île Royale).

L'Acadie, que l'on peut atteindre par bateau à n'importe quelle période l'année, est une région au climat océanique doux, qui contraste fortement avec celui de Québec. A l'époque de l'immigration dans cette colonie de peuplement, l'Acadie est également une région stratégique maîtresse puisqu'elle commande la fantastique voie d'accès vers l'intérieur du continent nord-américain que le Saint-Laurent constitue, tout comme l'Amazone pour le continent sud-américain.

En 1667, le traité de Breda fixe les frontières entre la Nouvelle-France et la Nouvelle-Angleterre. Temporairement occupée par les Anglais, l'Acadie revient à la France.

Les immigrants français sont principalement du Poitou. Leur principale motivation est économique. Attirés par l'appât de terres libres qu'on leur disait fécondes, ils ne sont pas déçus, puisque la pêche et le lucratif trafic de fourrures viennent s'ajouter à la très prospère activité agricole. Au cours des décennies qui suivront et tout en conservant leur langue et leur religion ainsi que d'autres caractéristiques de leurs origines, ils auront néanmoins conscience de former un peuple nouveau.

File:SalemWitchcraftTrial.jpg

Procès des Sorcières de Salem, La salle d'audience, illustration de 1876.

Les Pères pèlerins de Nouvelle-Angleterre sont venus, quant à eux, avec des intentions spirituelles. Protestants puritains, d'une foi farouche et austère, ils avaient été écoeurés par les persécutions du roi Jacques Ier d'Angleterre. Ils avaient préféré abandonner leur patrie et la vieille Europe, plutôt que de céder quoi que ce soit de leurs convictions religieuses. Boston, capitale de la Nouvelle-Angleterre, sera à leurs yeux la nouvelle Jérusalem. A l'heure actuelle, on a tendance à oublier ce caractère fanatique de la fondation des Etats-Unis. Le fameux procès des sorcières de Salem en 1692, durant lequel plusieurs dizaines d'accusés furent torturés et dix-neuf pendus, donne une assez bonne idée de la mentalité de l'époque. Sauvageau écrit:

"Le moindre soupçon de catholicisme était une accusation aussi grave que celle de sorcellerie. La religion romaine n'était pour les Puritains qu'une autre manifestation du démon. Une des raisons majeures de leur départ d'Europe était de fuir les damnés papistes et voilà qu'ils se retrouvaient à leur porte!"

A une époque où le pape est qualifié d'Antéchrist, la guerre contre la Nouvelle-France est donc une guerre sainte qui va servir aussi d'excellent prétexte pour faire main basse sur les pêcheries et le commerce de fourrures. Dans son Histoire de la Nouvelle-France, Guy Frégault cite à ce propos un hebdomadaire du Maryland de 1755 qui souligne les plus grands avantages que vaudraient à l'empire britannique la réduction des colonies françaises. Ayant par ce moyen isolé la Floride, les Anglais se verraient en état de "forcer" les établissements espagnols à ouvrir toutes grandes leurs portes au commerce britannique car, explique le journal:

"Si les Espagnols allaient s'y refuser, nous pourrions, après la conquête du Canada et de la Louisiane, faire passer nos troupes à travers la péninsule floridienne jusqu'à une place appelée Penicola (Pensacola)."

Ainsi la Floride deviendrait aux mains des Anglais une espèce d'otage duquel l'Espagne devrait laisser pénétrer les produits britanniques en Amérique du Sud; ce seul trafic "nous produirait une balance commerciale favorable de deux millions de livres... annuellement." Les préoccupations mercantiles s'entrelacent donc avec la propagande qui excite le patriotisme et qui souligne la mission protestante et la haine de l'ennemi. Un auteur qui signe Philo-Americus dans le New-York Gazette du 26 mai 1755 a des accents inspirés :

"Si je t'oublie, Ô Amérique anglaise, qua ma main droite se paralyse; si je perds ton souvenir, que ma langue s'attache à mon palais. Souviens-toi, Seigneur, des enfants de la France, qui disent de notre patrie: qu'elle soit abatue, qu'elle soit rasée. Ô fille du Canada, qui doit être détruite, heureux qui te traitera comme tu voudrais nous traiter! Heureux qui saisira tes enfants et leur brisera la tête contre la pierre!"

L'opinion, ajoute-t-on, s'élève avec "une espèce d'horreur contre les Français". En définitive, l'opinion anglaise se dresse contre la France et le Canada dans un concert très bien orchestré de réprobation, contre tout ce qui est français. En Angleterre même, où l'on est considérablement plus modéré, on se moque avec plus de dépit que d'esprit des maîtres à danser, des tailleurs, des coiffeurs et des cuisiniers français. On dénonce les Anglais qui "singent" les Français. Un passage du "London magazine" de juillet 1757 (329s) nous en donne une idée:

"Trop de jeunes Anglais apprennent le français. On dit que la langue et les modes françaises finiront par instaurer la monarchie universelle de la France. J'en suis persuadé. Chaque jour qu'un précepteur ou un répétiteur français enseigne à la jeune Miss et au jeune Master la langue de son pays, il en profite pour seriner à leurs oreilles la gloire, l'éclat, la puissance, en un mot, le Je ne sçai quoi de ce florissant royaume... Ainsi les français nous amènent à nous soumettre nous-mêmes à eux. C'est pour eux une manière bien plus facile et bien plus sûre de venir à bout de nous que s'ils s'avançaient tambour battant, l'épée au clair et la baïonnette au canon."

Revenons à 1674. Les opérations contre l'Acadie à partir de la Nouvelle-Angleterre vont reprendre en déput des traités, par le biais du corsaire hollandais Aernoutsz. Bien que les Français et les Anglais aient signé le traité d'Alliance de Douvres contre les Hollandais en 1670, les Bostoniens aidèrent d'autant plus Aernoutsz à organiser son agression contre l'Acadie que la mère patrie venait juste de signer une paix séparée avec la Hollande (traité de Westminster de février 1674).

Le Fort Pentagouet sur la côte de l'Acadie occidentale est attaqué le 10 avril 1674. Louis de Frontenac, alors gouverneur de la Nouvelle-France, avait évidemment protesté contre cet acte de piraterie, protestation dont la conséquence fut un faux procès contre les instigateurs de l'agression perpétrée contre l'Acadie.

Saint-Castin

Saint-Castin

Fort de Pentagouet en 1670.jpg

Fort de Pentagouët en 1670

 

Frontenac, réalisant l'énorme déséquilibre entre les populations d'Acadie et de Nouvelle-Angleterre, chargea alors Jean-Vincent de Saint-Castin, l'un des défenseurs de Pentagouet, arrivé en 1670 en Acadie et âgé de 22 ans à peine, de faire alliance avec les Abenaquis, tribu indienne de la région de Pentagouet. Saint Castin vivra ainsi plus d'un quart de siècle chez les Abenaquis. Il apprit leur langue [5] et leurs coutumes et se maria avec Pidianske, la fille de Madokawando, le chef des Abenaquis lui-même. L'alliance franco-indienne contre les Anglais était donc scellée.

 

Description de cette image, également commentée ci-après

 

Couple d'Abénaquis au XVIIIe siècle (archives de Montréal)

Pontiac---Ce-portrait--sans-doute-imaginaire--a-ete-peint.jpgIl faut aussi préciser que, selon les apôtres de la Nouvelle-Jérusalem, les indigènes de l'Amérique appartenaient à une race maudite. Les Indiens ne relevaient pas du domaine du Seigneur, mais de celui du démon. Cette théorie était commode pour anéantir "au nom de Dieu" les tribus indiennes purement et simplement.  "Il n'est pas de bon Indien qu'un Indien mort!".

Dès leur arrivée dans le nouveau monde, les Français avaient adopté une attitude inverse vis-à-vis des autochtones. Persuadés que le Christ avaient apporté sa bonne nouvelle à toute l'Humanité, y compris la population primitive d'Amérique, ils avaient entrepris de convertir les Indiens, d'où la multiplication des missions catholiques. En accord avec le gouvernement royal, Jésuites et Récollets s'employèrent à amener les indigènes au christianisme. La prorogation de la foi catholique fut l'une des lignes de force majeures de la colonisation française. Richelieu avait fait écrire dans la Charte de la Compagnie des Cent Associés:

Image illustrative de l'article Armand Jean du Plessis de Richelieu"Les descendants des Français qui s'habitueront au dit pays (le Canada), ensemble les sauvages qui seront amenés à la connaissance de la foi, et en feront à leur mieux profession, seront censés et réputés naturels Français. S'ils viennent en France, ils jouiront des mêmes privilèges que ceux qui y sont nés."

Sauvageau souligne qu'"il s'agissait là de paroles extraordinaires si l'on songe aux massacres épouvantables d'indigènes qui se perpétraient à la même époque dans les colonies espagnoles et anglaises d'Amérique."

Le métissage des Français avec la population indienne locale fut rapide. Franco-Américains et Franco-Amérindiens étaient en train de constituer, par exemple à Pontchartrain du Détroit (le site de la ville actuelle de Détroit), une société mixte où résidaient en 1755 près de 800 familles françaises et 3000 Amérindiens de trois nations différentes - nation outaouaise, nation des Pétuns et nation des Gens de Mer - une nation métissée nouvelle, alliant la culture et la civilisation française avec la perception amérindienne de la nature et de la place de l'homme dans cette nature.

Les coureurs des bois devinrent, si vite, quasi indianisés que les protestants anglais en vinrent à dire, avec mépris "qu'en l'espace d'une génération le Français ne se distinguait plus du sauvage." Nous sommes ici confrontés à l'un de ces rares cas où c'est l'Européen qui s'assimilait au lieu du contraire.

MetacometEn dépit de la signature d'un traité d'amitié que Massasoit, un chef algonquin, avait signé, avec les dirigeants de la Nouvelle-Angleterre, son propre fils Metacomet, surnommé "le roi Philippe" par les Britanniques, se rendit compte que ces derniers recherchaient l'anéantissement des tribus indiennes. Il déclencha une guerre à outrance contre les établissements commerciaux et les villes anglaises de la côte est-américaine. Il rasa Brookfield et Springfield dans la région de Boston ainsi que Swansea, mais les Britanniques furent finalement victorieux grâce à leur supériorité en armements et, à la suite d'une trahison, ces derniers s'emparèrent de Metacomet, qu'ils torturèrent et qu'ils décapitèrent.

Cette guerre dite du "roi Philippe", qui aboutissait à un désastre pour les Algonquins, n'entraîna par la solidarité des autres tribus dans une guerre généralisée contre les envahisseurs européens. Ces tribus, constamment en concurrence les unes avec les autres pour des territoires de chasse, n'éprouvaient généralement aucune compassion pour un dversaire vaincu, qu'il soit indien ou blanc.

Cependant, la guerre reprit avec les Abenaquis.

"L'été de 1677 se passa dans la terreur", écrit un chroniqueur puritain.

Au printemps 1678, les Britanniques se résignèrent à signer le traité de Casco qui spécifiait que tout colon britannique cultivant des terres se situant en territoire indien devrait verser un impôt aux tribus. Cette revendication avait été inspirée par Saint-Castin qui avait bien conseillé Mugg, un chef indien agissant pour le compte de Madokawando.

De plus, les Abenaquis avaient été redoutablement armés, ce qui leur avait assuré leur victoire contre les Anglais. Le Béarnais Saint-Castin armait lui-même les tribus indiennes avec des fusils anglais qu'il obtenait en commerçant directement avec les colons de Boston!

Les Anglais ripostèrent en essayant d'acheter Saint Castin qu'ils avaient enfin identifié comme étant le cerveau téléguidant les opérations indiennes contre la Nouvelle-Angleterre. Il fallait faire passer dans leur camp ce dangereux personnage qui savait si bien fédérer les forces ennemies et mettait en danger leur survie. Leur tentative ayant échoué, les Anglais envisagèrent alors d'éliminer physiquement Saint Castin, ce qu'ils tentèrent quelques années plus tard par l'intermédiaire de deux déserteurs français, Armand de Vignon et François Albert, qui arrivèrent à Pentagouet le 24 octobre 1692. Avant de mettre leur plan à exécution, les deux déserteurs furent dénoncés, capturés et exécutés.

Entretemps, en dépit de l'extrême faiblesse de l'immigration, la population française se multipliait grâce à une très forte natalité.

L'Acadie avait 1 000 habitants et la Nouvelle-France 12 000. Les paysans avaient su mettre en valeur les riches terres côtières, où ils pratiquaient culture et élevage. Ils y connaissaient une prospérité très supérieure à celle de leurs cousins demeurés dans leur Poitou d'origine. En outre, ils avaient l'avantage d'être pratiquement affranchis de la plupart des servitudes féodales encore en usage dans le royaume de France.

Le projet de créer une route entre l'Acadie et le bas Canada (Québec), soutenu par Colbert, qui mourut en 1683, ne se réalisa pas.

Un projet de construction d'un canal entre la Baie verte (sur le Golfe du Saint Laurent) et la Baie française (de nos jours dénommée Baie de Fundy), qui diminuerait, lui aussi, la durée du voyage vers Québec, fut également envisagé.

Toutefois un évènement d'une portée considérable se produisit peu après, la révocation de l'Edit de Nantes; Depuis la restauration des Stuart (en Angleterre Ndlr.) en 1660, la France avait bénéficié de la neutralité du gouvernement britannique, sinon de son appui. Toutefois, les persécutions dont les Huguenots furent victimes soulevèrent l'indignation des protestants anglais. Ce mouvement d'opinion plaça le roi Jacques II Stuart dans une situation délicate d'autant plus qu'il était déjà soupçonné d'adopter une attitude complaisante vis-à-vis de la France.

Guillaume III par Godfrey KnellerGuillaume d'Orange, alors chef de la Hollande, exploita cette situation. Adversaire acharné de Louis XIV et protestant convaincu, il revendiqua le trône d'Angleterre contre Jacques II, son beau-père. En novembre 1688, il débarqua sur le sol anglais où il triompha avec la plus grande facilité du roi Stuart. A la bataille de la Boyne en Irlande, son succès fut assuré grâce à ses bataillons protestants français, commandés par Schomberg.

Rien n'est gratuit

 

Guillaume d'Orange, fils du stathouder Guillaume II, avait deux ans lors du déclenchement de la guerre de Hollande de 1672. Sous un physique fluet, il cachait une immense ambition mais ses projets avaient l'apparence du bien public et inspiraient aussi l'amour de la patrie. En juin 1672, des dizaines de milliers de soldats français avaient envahi la Hollande. La plupart des villes s'étaient rendues aux Français avant même d'avoir combattu. Amsterdam avait offert des millions pour s'affranchir du pillage. Louis XIV mit à la paix qui s'ensuivit des conditions si dures, si humiliantes qu'un peuple ne pouvait les accepter sans signer son déshonneur et sa ruine. Il provoqua ces résolutions suprêmes qui trouvent leur force dans le désespoir. Contrairement à l'amour, la haine n'est jamais gratuite. C'est durant ces évènements que la haine de Guillaume d'Orange contre Louis XIV, contre les catholiques et contre la France se forgea.

Devenu roi d'Angleterre, disposant de ressources maritimes et des trésors des deux premières nations commerçantes du monde, il devint le chef de la coalition contre la France et entra dans la lutte avec un acharnement méthodique et réfléchi qui devait profiter de toutes les fautes de son adversaire. Il avait d'abord accueilli avec empressement les réfugiés calvinistes. C'était pour lui un double avantage. Tandis que les proscrits apportaient à l'Angleterre et à la Hollande les secrets de l'industrie française, leurs rancunes donnaient un nouvel élément à la guerre. Ils répétaient, en les exagérant, les fautes du roi, les souffrances du pays, la misère des campagnes et tout ce qu'une apparence souvent trompeuse de prospérité et de grandeur cache aux yeux de faiblesse réelle.

En Amérique, sa prise de pouvoir à Londres fut accueillie avec un enthousiasme indescriptible. Lors de son débarquemet en Angleterre, il avait fait inscrire sur ses étendards "Pro Religione Protestante" (pour la religion protestante). Pour les puritains de Nouvelle-Angleterre, Dieu se manifestait en leur faveur. L'orangisme déferla bientôt sur l'Amérique avec la force du fanatisme. La guerre contre les "damnés papistes" de l'Acadie et du Canada allait donc pouvoir reprendre et s'intensifier puisque toutes les justifications économiques, religieuses et morales avaient été rassemblées. Une nouvelle vague de fureur anticatholique et anti-française souleva la Nouvelle-Jérusalem au nom de l'orangisme.

[...] Au printemps de 1690, un congrès de délégués de l'Amérique anglaise s'était réunis à New York. Il avait décidé de profiter de la guerre de la Ligue d'Augsbourg entre l'Angleterre et la France pour lancer une offensive contre l'Acadie d'abord puis, en cas de succès, contre le Canada. A la tête de la croisade puritaine se trouvait William Phips, qui prit l'offensive à Port Royal, capitale officielle de l'Acadie, située sur la côte ouest de l'Acadie orientale, sur la rive est de la Baie française (partie sud de la presqu'île de Nouvelle-Ecosse, rebaptisée aujourd'hui Annapolis-Royal).

Port-Royal était défendu par Louis Desfriches de Menneval, un homme malade, souffrant de fréquentes attaques de goutte et que son état rendait craintif et vulnérable. Il s'estimait bien incapable de défendre sa petite capitale qui fut investie et pillée par les Anglais. Le rapport des forces à ce moment là s'établissait à 200 000 Anglais contre 12 000 Français d'Amérique. Cependant en Acadie occidentale, Saint Castin, aidé des Abenaquis, était devenu maître de guerilla.

 

Buste de Frontenac au Monument aux Valeureux, à Ottawa
Buste de Frontenac au Monument aux Valeureux, à Ottawa

 

Au Canada, le gouverneur Frontenac tenta avec succès d'abuser les Anglais sur ses forces réelles, en portant la guerre sur le territoire même de la Nouvelle-Angleterre et en effectuant simultanément plusieurs opérations dans des zones différentes.

C'est ainsi que Lemoyne de Sainte-Hélène, parti de Montréal et accompagné par deux de ses frères, de Bienville et d'Iberville, s'était emparé de Schenectady, à proximité d'Albany.

Hertel, lieutenant de milice à Trois-Rivières, avait capturé Salmon Falls (de nos jours Nerwick dans le New Hampshire).

Une autre expédition punitive dirigée par Saint Castin et accompagnée de Robineau de Portneuf dévasta Casco sur la côte atlantique, en réprésailles à l'opération anglaise sur Port Royal.

Les faiblesses du système français étaient quand même devenues apparentes et, le 20 août 1690, William Phips adressa un ultimatum aux défenseurs de Québec auquel Frontenac répondit par une phrase qui le rendit célèbre :

"Je n'ai point de réponse à faire que par la bouche de mes canons et à coups de fusil!"

L'expédition de Phips échoua lamentablement et la flotte britannique endommagée regagna la Nouvelle-Angleterre.

[...] Au début de l'été 1696, une expédition d'envergure dirigée contre Naxouat par Benjamin Church et le coonel Hawthorne, et financée par le gouverneur de la Nouvelle-Angleterre, Stoughton, successeur de Phips, avait été repoussée par les Français. Villebon avait triomphé à un contre sept !

La guerre de la Ligue d'Augsbourg se termina "en fanfare" pour les Français d'Amérique du Nord. Après sa campagne d'Acadie aux côtés de Saint Castin, Iberville était parti avec sa flotte pour Terre-Neuve afin de capturer Saint Jean, la principale base anglaise de l'Île. Au total, la campagne, qui avait duré trois mois, avait ruiné la domination anglaise sur l'île: 36 établissements détruits, 200 000 quintaux de morue saisis pour payer les frais de l'expédition et bien au-delà!

[...] Le 20 septembre 1697 (sur le continent européen) avait été signé le traité de Ryswick qui mettait fin à la guerre entre la France et l'Angleterre.

En Amérique du nord, les Anglais se trouvaient sur tous les fronts, en Acadie, à la Baie d'Hudson, à Terre Neuve, dans une situation accablante en face des Français, en dépit de l'énormité de leurs moyens relativement à ceux des Français.

De même, la menace du projet de Frontenac contre Boston et New York, dont les services de renseignement anglais avaient été informés, pesa sur la décision de Londres d'arrêter les hostilités.

Après des triomphes aussi éclatants et qui plaçaient la France en position de force en Amérique du Nord, les diplomates français étaient en mesure d'exiger des concessions outre-atlantique, mais ils ne réclamèrent rien, sinon le maintien du statu quo. Les Anglais conservèrent Terre Neuve et la Baie d'Hudson et "rendaient l'Acadie" que, de toutes façons, ils ne possédaient pas...

 

XVIIIe siècle.

 

[...] L'attaque des Anglais en 1704 sur Port Royal défendu par Brouillan échoua mais elle fut renouvelée en juin 1707, et encore en août de la même année. Après avoir effectué une tentative de siège, les Anglais se rembarquèrent le 31 août, battus à nouveau.

Toutefois, le colonel Samuel Vetch avait élaboré un plan de conquête de l'Amérique française et ce plan avait obtenu l'assentiment de la reine Anne et de ses conseillers en 1708, qui avaient promis à Vetch le poste de gouverneur du Canada anglais en cas de réussite. Pour attaquer Port-Royal, il disposait d'une flotte de quatre gros vaisseaux de guerre, une frégate et une galiote à bombes et 30 vaisseaux de guerre. Les effectifs étaient de 5 860 hommes, une armée formidable pour l'Amérique de l'époque. Le défenseur de Port-Royal, Subercase, gouverneur de l'Acadie, commit l'erreur de s'enfermer dans sa minuscule place forte assiégée par les Anglais alors que rien ne l'empêchait de se replier. Au lieu de se battre à cinq contre un, les Anglais allaient se battre à quinze contre un. L'issue ne faisait plus de doute. Subercase était convaincu de son infériorité en matériel et en hommes, et acceptait la défaite à l'avance. [...] L'attaque eut lieu le 5 octobre 1710 et la capitulation fut conclue le 13. Au lieu de procéder à la destruction de ses canons avant de se rendre, les armements furent vendus aux Anglais, renforçant ainsi instantanément leur potentiel militaire. Le 24 octobre, les vaincus étaient embarqués sur trois navires de guerre anglais en partance pour la France et arrivèrent à destination le 1er décembre.

Pourtant l'Acadie était loin d'être défaite. Durant leur premier hiver, les Acadiens refusèrent d'approvisionner les Anglais et beaucoup d'entre eux partirent. Des opérations de harcèlement furent organisées par l'un des fils de Saint Castin, Bernard-Anselme. Port-Royal, rebaptisé Annapolis par les Anglais, fut réassiégé par leurs ennemis.

[...] Le 26 juin juin 1712, Pontchartrain informait Vaudreuil de ne plus rien tenter contre l'Acadie orientale pour ne pas interférer avec les négociations de paix entre l'Angleterre et la France qui, par le traité d'Utrecht signé en avril 1713, abandonnait l'Acadie définitivement à l'Angleterre. [...]

La collaboration avec les Anglais qui s'instaure à Versailles et qui est relayée par son antenne canadienne pour vider l'Acadie de toute résistance, et permettre aux Anglais d'en prendre possession, est proprement malsaine. [...] Les difficultés causées par la mort de louis XIV et la Régence entrainèrent une large inertie dans les prises de décisions. La période de paix qui va de 1713 à 1744 sera néanmoins traversée par quelques incursions anglaises, dont la plus spectaculaire fut la capture de Joseph Saint Castin, autre fils du célèbre Jean-Vincent, en Acadie occidentale, qui avait été accusé de cristalliser l'hostilité des Abenaquis sur les colons de Nouvelle-Angleterre.

On note aussi l'assassinat du Père Sébastien Rale, qui passa trente cinq ans chez les Abenaquis, les convertit à la foi chrétienne, et exerçait sur eux une extraordinaire influence. Ce jésuite fut le premier à rédiger un dictionnaire abenaquis-français et dont le manuscrit est actuellement détenu par l'Université Harvard, dans la proximité immédiate de Boston. L'action de ce prêtre visait moins à sauvegarder les intérêts français que de prévenir les Abenaquis des intentions des dirigeants de la Nouvelle-Angleterre qui étaient, à terme, de les déposséder de leurs terres sur la partie de leur territoire située au sud de la rivière Quinibéqui (Kennebec), où les colons anglais venaient de s'installer en grand nombre.

Mort du père Sébastien Rale de la Compagnie de Jésus, lithographie de 1856.

Mort du père Sébastien Rale de la Compagnie de Jésus, lithographie de 1856.

[...] Les Acadiens vivant en Nouvelle-Ecosse (l'ex Acadie orientale) n'avaient jamais vraiment accepté la domination anglaise de la presqu'île et ce ressentiment n'était pas écrasé par une immigration anglaise massive. Les Acadiens étaient prêts à se révolter et à prêter main forte à leurs libérateurs français dès que ces derniers se manifesteraient.

Une expédition organisée par un certain Duvivier, l'un des commerçants les plus riches de Louisbourg, échoua devant Annapolis, en octobre 1744, du fait de problèmes de coordination entre les forces terrestres et maritimes qui avaient été rassemblées par les Français, et cela en dépit du fait que la défense d'Annapolis était très largement insuffisante. Cette dernière était organisée par Paul Mascarene, un huguenot d'origine française, parlant français couramment.

[...] Une nouvelle expédition, anglaise cette fois, et qui avait réussi à débarquer à l'Île Royale parvint à capturer Louisbourg. La défaite époustouflante de cette place forte était directement liée, non pas à la qualité du corps expéditionnaire anglais, très hétéroclite dans sa compostion, mais à l'exceptionnelle nullité du commandant de la place, Louis Dupont Duchambon, oncle de 'larmateur Duvivier, tous les deux plus doués pour le commerche que pour la guerre.

En juin 1746, Louis XV envoya une flotte pour reprendre Louisbourg mais la flotte fut décimée par une tempête et une épidémie de peste et dut renoncer. Une autre expédition comprenant 18 navires de guerre et 22 bâtiments de transport fut organisée et quitta La Rochelle en mai 1747 mais elle dut affronter une escadre anglaise au large des côtes d'Espagne dont la puissance de feu était supérieure. Ce désastre mit fin aux espoirs de reconquérir l'Île Royale et l'Acadie orientale.

Entretemps (en 1747).. aidés des Acadiens, les Canadiens avaient été victorieux des Anglais à Granpré en Nouvelle-Ecosse et, surtout, les Français avaient en Europe remporté la victoire de Fontenoy. A la signature de paix d'Aix-la-Chapelle en 1748, Louis XV se borna à exiger la restitution de l'Île Royale et renonça à l'Acadie orientale.

[...] Le gouvernement de Londres changea alors de tactique en Nouvelle-Ecosse. Tout d'abord, la ville d'Halifax fut créée pour concurrencer Louisbourg dont la prospérité était revenue sous occupation française. Ensuite, le gouvernement anglais enjoignit les Acadiens de prêter serment d'allégeance au gouvernement anglais, qui les autoriserait alors à rester sur leurs terres en leur garantissant la liberté de culte. Beaucoup firent ce serment avec une restriction: le refus de porter les armes pour le roi d'Angleterre et contre leurs frères français au Canada. A l'appel de la Galissonnière toutefois, un tiers des Acadiens de Nouvelle-Ecosse vinrent s'installer en Acadie occidentale. Malheureusement, La Galissonnière ne reste à son poste que deux ans durant lesquels il avait pourtant su tirer son épingle du jeu dans une situation difficile.

 

Charles Lawrence : le nettoyage ethnique des Acadiens, premier génocide des temps modernes. Le Grand dérangement

 

En dépit des promesses faites aux Acadiens, Charles Lawrence, gouverneur de la Nouvelle-Ecosse, organisa la déportation des Acadiens.

Le mot "génocide" n'est pas exagéré puisque des milliers d'hommes, de femmes et d'enfants y laissèrent la vie. Charles Lawrence voulait déporter et disperser toute la population acadienne à travers toutes les colonies anglaises des Amériques afin d'anéantir les Acadiens, non en tant qu'individus - ce qu'il fit dans une large proportion - mais en tant que peuple et en tant que nation.

Lecture de l'ordre de déportation des Acadiens le 28 juillet 1755 par le colonel John Winslow dans l’église de Grand-Pré., Tableau de Charles William Jefferys

Lecture de l'ordre de déportation des Acadiens le 28 juillet 1755 par le colonel John Winslow dans l’église de Grand-Pré., Tableau de Charles William Jefferys

Il ne fallait pas que ces colons déplacés viennent grossir les rangs canadiens contre lesquels la guerre se préparait à nouveau. 6 000 Acadiens furent déportés en 1755, 2 000 autres en 1748. Environ 8 000 habitants français sur les 13 000 que comptait l'Acadie orientale (Nouvelle-Ecosse). En 1762, ce fut le tour des Acadiens de l'Acadie occidentale (l'actuel Nouveau Brunswick et une grande partie de l'Etat américain du Maine). Environ 10 000 sur une population de 18 000. Les bateaux utilisés pour la déportation n'avaient pas été loués en nombre suffisants. On y entassa les Acadiens dans des conditions épouvantables. De nombreuses familles éparpillées sur plusieurs navires, en partance pour les destinations diférentes, furent disloquées. On estime que la moitié des Acadiens déportés moururent de faim, d'épidémie et de misère. Ainsi, le "Cornwallis" qui avait quitté Chignectou, petite ville de la Baie de Fundy actuelle, avec 417 Acadiens n'en débarqua que 210 à son arrivée à Charleston, en Caroline du Sud !

Sauvageau précise qu'il a fallu beaucoup d'humour noir aux historiens pour appeler cette déportation "le Grand dérangement".

Pourtant, on est obligé de reconnaître que les Acadiens, par comparaison, ont été traités "dignement" par rapport aux Irlandais contre lesquels Cromwell avait conduit une guerre de religion et une guerre raciale. Ses campagnes d'extermination avait massacré les Irlandais par milliers.

Durant cette période particulièrement glorieuse de l'histoire britannique, le colonel Winslow "en pourchassant toute la vermine acadienne du pays" (sic) aida à rafler 43 500 bêtes à cornes, 48 500 moutons, 23 500 porcs, 2 800 chevaux sans compter les autres biens mobiliers et immobiliers volés aux Acadiens.

Par la suite, les Anglais expurgèrent des archives de la Nouvelle-Ecosse, à Halifax, de nombreux documents relatifs à ce premier génocide des temps modernes que demeure la grande déportation [6].

 

Epilogue guerrier

 

En pleine paix, à quelques semaines de novembre 1755, l'escadre anglaise de l'amiral Boscawen captura près de 300 vaisseaux français d'une valeur de 30 millions de livres, 6 000 officiers ou matelots, 1 500 soldats. Cette agression demeure connue des historiens sous le nom d'"attentat de Boscawen". [...] Il s'agissait du prélude à la Guerre de Sept Ans qui se déclencha en 1756. Le 19 août 1757, une escadre anglaise essaya de prendre Louisbourg mais échoua également. Une troisième tentative eut lieu l'année suivante, mais le gouverneur de la place, Du Bois de La Motte avait déjà regagné la France. Un certain Drucourt, qui l'avait remplacé, ne recruta pas les milices et n'engagea que partiellement ses hommes hors de la citadelle pour rejeter les Anglais à la mer. La citadelle fut bombardée, et le 26 juillet 1758, Louisbourg capitula.

 

 

Bateaux de pêche dans le havre de Louisbourg

Bateaux de pêche dans le havre de Louisbourg

Boishébert, qui s'était distingué dans de très nombreuses interventions victorieuses en Acadie contre les Anglais, fut envoyé en soutien par Vaudreuil avec... 92 hommes alors que Louisbourg était attaqué par 18 000 soldats et 8 000 marins ! Le vainqueur de Louisbourg, le général Amherst, avait immédiatement décidé de consolider la chute de Louisbourg (1758) en éliminant au mieux toute présence française en Acadie du nord et en Acadie occidentale.

Jeffery Amherst par Gainsborough vers 1785

Jeffery Amherst par Gainsborough vers 1785

Le colonel Robert Monckton était chargé de ravager les installations française de la Rivière Saint Jean (qui se jette dans la Baie française) et d'en extirper "la vermine acadienne" tandis qu'Andrew Rollo devait vider l'île Saint Jean (île du Prince Edouard) de sa population. Wolfe, le futur vainqueur de Montcalm à Québec, fut chargé de plusieurs opérations terroristes en Gaspésie. Le but de ces opérations combinées était de repousser tous les Acadiens vers la région de Québec.

Montcalm et Vaudreuil ne s'affolent guère cependant. Alors que la nouvelle capitulation de Louisbourg soulève dans la population les plus vives inquiétudes, Montcalm, alors chef militaire du Canada, et Vaudreuil s'en réjouissent presque car ils considèrent que l'Acadie et l'Île Royale sont des territoires inutiles. Dans un mémoire de 1758, Montcalm explique sa position. On ne peut qu'être surpris par une telle analyse lorsqu'on considère les efforts déployés par les Anglais depuis tant d'années pour conquérir l'Île Royale et devenir maîtres du terrain sur toute l'Acadie.

Le plan anglais de conquête du Canada comprenait 50 000 hommes, chiffre très optimiste compte tenu des possibilités réelles. Le général Amherst serait chargé d'attaquer le Canada par la route de l'Hudson et le lac Champlain. Le général Prideux devrait prendre le fort Niagara et menacer Montréal mais le coup majeur devrait être porté contre Québec. En face, Montcalm disposait malgré tout de plus de 30 000 hommes. La première lourde erreur de ce dernier consiste à croire que l'attaque viendra de l'intérieur alors que, justement, une formidable expédition vient d'enlever Louisbourg et de déblayer l'accès au Saint Laurent.

En 1753, un officier de génie, Dubois, avait déjà proposé d'installer des batteries aux endroits les plus favorables, le long du fleuve mais rien n'avait été fait.

Le 27 juillet 1759, l'expédition britannique par voie maritime contre Québec sonne comme un coup de tonnerre pour Vaudreuil et Montcalm, ce dernier ayant 16 000 hommes sous ses ordres, alors que Wolfe ne disposait que de 8 000 hommes. Le siège de la ville ne donna, au départ, aucun résultat. Wolfe, atteint de dysentrie à partir du 19 août, dut s'aliter. Les Anglais, furieux, dévastèrent autant qu'ils le pouvaient la campagne environnante. Wolfe avait écrit au général Amherst:

James Wolfe"Si nous nous apercevons que Québec ne semble pas devoir tomber entre nos mains (tout en persévérant jusqu'au dernier moment), je propose de mettre la ville à feu avec nos obus, de détruire les maisons et le bétail tant en haut qu'en bas (de Québec), d'expédier le plus de Canadiens possibles en Europe et de ne laisser derrière nous que famine et désolation. Mais nous devons montrer à ces scélérats comment faire la guerre comme des gentilhommes."

Wolfe devait lever l'ancre au plus tard le 20 septembre pour ne pas être bloqué par les glaces hivernales. Ayant repris des forces et de la combativité à la fin du mois d'août, il décida de brusquer les choses. Il y eut plusieurs plans, mais, en tant que chef direct de l'armée anglaise, il imposa le sien. Il décida de débarquer ses hommes à l'Anse aux Foulons. Ces derniers devraient ainsi escalader la falaise et prendre Québec à revers. Le risque était énorme. Si l'alarme était donnée, l'escalade finirait en tragédie sanglante pour les Anglais. Néanmoins, les soldats débarquèrent sans problème. Pour tromper les sentinelles qui attendaient là un convoi de ravitaillement, les soldats furent précédés d'officiers parlant couramment français.

Le responsable de la défense de l'Anse aux Foulons était Dupont de Vergor, responsable de la capitulation de Fort Beauséjour [7], qui avait été placé sur l'isthme marquant la frontière entre l'Acadie orientale (l'actuelle Nouvelle-Ecosse) et l'Acadie occidentale (Nouveau Brunswick), tout au fond de l'actuelle Baie de Fundy. Aussi nul que jadis à Fort Beauséjour, où il avait négligé d'organiser une garde sérieuse, il fut surpris dans son lit par les premiers assaillants. Une fois sur le plateau, l'armée de Wolfe défiait Montcalm. Ce dernier, retranché derrière ses remparts, n'avait qu'à attendre quelques jours. A l'approche de l'hiver, les Anglais devraient se réembarquer pour éviter d'être bloqués, situation dans laquelle il serait facile de les harceler et de les mettre en déroute.

Bataille des plaines d'Abraham (13 septembre 1759)

Bataille des plaines d'Abraham (13 septembre 1759)

Bien avant que toutes les troupes françaises furent rameutées, Montcalm jeta 4 500 hommes dans la bataille, force égale à celle dont Wolfe disposait sur les plaines d'Abraham. Montcalm et Wolfe furent mortellement blessés. Le général Monckton reçut une balle en pleine poitrine. En un quart d'heure d'affrontement, 547 anglais avaient été tués contre 432 chez les Français qui s'étaient à nouveau retranchés derrière les fortifications de la ville.

Pierre Rigaud de Vaudreuil, le gouverneur, qui n'avait aucune expérience guerrière, fut pris de panique et quitta Québec vers Beauport. Cette dérobade insensée démoralisa la population, déjà éprouvée par la mort de Montcalm. La décision de quitter Québec était équivalente à celle de livrer la ville aux Anglais avec ses canons, ses munitions et ses vivres.

La bataille des plaines d'Abraham est généralement considérée comme étant celle qui a consacré la perte du Canada. Il n'en fut rien, en avril 1760, le chevalier de Lévis avait vaincu les Anglais à la bataille de Sainte-Foy. Québec fut sur le point d'être repris par les Français. Cela ne put se faire car la flotte britannique avait désormais libre accès au fleuve.

 

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Montcalm à la tête de ses troupes sur les plaines d'Abraham. Aquarelle de Charles William Jefferys.

Règlements de compte

 

En France, la chute du Canada, français depuis près de deux siècles et demi, avait stupéfié l'aristocratie toute entière. Au même moment, on faisait passer en jugement Dupleix et Lally-Tollendal (ce dernier fut condamné à mort et exécuté en 1766) pour la perde des Indes orientales françaises.

La période contemporaine a été également témoin de procès similaires, tels que celui de Riom, qui eut lieu après l'armistice de 1940 et qui fut organisé par le gouvernement de Vichy pour traduire en justice tous ceux que l'on estimait responsables de la défaite.

[...] L'affaire du Canada, ou plus simplement le procès du Canada, permit d'exorciser les démons. Les sujets du Roi-très-Chrétien ne risquaient-ils pas de rendre responsables les dirigeants de Versailles et notamment le Premier ministre Choiseul(franc-maçon, "Vénérable de la Loge Les Enfants de la Gloire" en 1761 [8], Choiseul qui se disait "l'artisan du renouveau français et de la revanche contre l'Angleterre" (sic)... [9], était lié aux "philosophes" [10], le complice des Parlements dans leur obstruction au roi [11] Ndlr.)

Pour parer ce danger, il fallait trouver des paratonnerres ou, comme on dirait de nos jours, des fusibles. On résolut de mettre en accusation les officiers, civils et militaires, les administrateurs, les hommes d'affaires, les trafiquants, les spéculateurs et leurs associés, etc. Les prétextes ? Enrichissement trop rapide pour de nombreux personnages qui avaient utilisé leurs fonctions officielles pour gagner beaucoup d'argent. On parlait beaucoup à Paris des "millionnaires du Canada". Vaudreuil passait pour avoir rapporté 23 millions de livres et Bigot 29 millions ! Tout comme aujourd'hui en cinquième république, cet abus des fonctions officielles était courant. [A la différence avec notre époque que l'enrichissement indéfini sous l'Ancien Régime pour les nobles était suspect, et contrevenait aux codes de la noblesse. Ndlr.]

La morale de l'histoire

 

Sur le plan militaire, un siècle de combats avait démontré clairement que le sort d'une place dépendait souvent beaucoup plus du cartactère de son commandant que du rapport de forces. En fait les Français avaient multiplié les victoires en Amérique du nord durant les dernières années de la Guerre de la Ligue d'Augsbourg (1688-1697) avec un rapport de force de 300 000 contre 15 000 en faveur des Anglais, soit à 20 contre 1 !

Lorsque l'Amérique française s'est effondrée au cours de la Guerre de Sept Ans (1756-1763), soixante ans plus tard, la disproportion s'était en fait un peu améliorée en faveur des Français puisqu'ils luttaient désormais à 1 contre 18.

A n'en pas douter, ces victoires spectaculaires de la fin du XVIIe siècle reflétaient la valeur des hommes qui conduisaient la lutte du côté français et leur stratégue efficace. Combativité, fermeté, audace mais prudence, refus de considérer les autochtones comme étant fondamentalement différents d'eux et inteligence d'en faire des alliés. Quant à leurs méthodes de guerre, écrit SAUVAGEAU :

"Elles étaients la conséquence de l'infériorité même de leurs forces et un moyen de la compenser. Refus de la 'guerre en dentelles' à l'européenne. Pratique constante de la guérilla. De même, refus de la défensive, de la guerre statique qui conduirait les Français au désastre, compte tenu de la faiblesse de leurs ressources. Adoption de stratégies offensives, visant souvent à faire illusion à l'ennemi et le tromper sur les forces réelles de l'adversaire. Utilisation de la force de l'ennemi même pour le combattre en commerçant avec lui. Utilisation des hommes des milices, bien supérieurs en nombre aux soldats réguliers, qui, à cette époque, étaient souvent des mercenaires qui n'obtenaient de la guerre que leur solde alors que les miliciens défendaient leurs terres et leurs biens, et connaissaient bien le pays. L'équipe exceptionnelle de Saint Castin, Villebon, Frontenac, Iberville qui s'estompa à la fin du XVIIe siècle ne fut malheureusement pas remplacée."

[...] Approche patiente de l'ennemi, embuscade, fuite devant un adversaire trop supérieur en nombre, attaque rapide comme la foudre dans le cas inverse, opérations conduites en tout temps, même durant les hivers les plus rudes, invention du camouflage porté à son point de perfection, ruses qui consistaient, par exemple, à annoncer aux Anglais d'une place forte qui résistait qu'ils seraient livrés aux Abenaquis à l'issue du siège, pour assouvir leurs désirs de torture si leur reddition n'était pas immédiate. [...] L'avalanche anglaise du XVIIIe siècle aurait pu être abattue, encore fallait-il un Saint Castin ou un Frontenac au poste de commande ! Lorsqu'une défaite du côté français survient, les sublaternes ou les civils sont souvent mis en accusation par des franco-Français parachutés par l'administration royale ne connaissant rien du pays. On est également étonné de la naïveté des responsables de Versailles vis-à-vis des Anglais qui demandent toujours plus de concessions avant de signer des traités qu'ils foulent aux pieds à la première occasion. Au lieu de profiter de sa position de force quand elle en a la possibilité, sa Majesté-Très-Chrétienne accepte de négocier avec les Anglais dès que ces derniers en font la demande et se contente souvent de protester à Londres lorsque les clauses des traités ne sont pas respectées (il ne faut pas oublier aussi qu'il existait chez les intellectuels français de l'époque une certaine admiration du système politique de la nation ennemie, sentiment qui n'aidait en rien à combattre. (Cf. sous le ministre Choiseul... Ndlr).

[...] Alors que les Français voient dans la paix une occasion de repartir sur de nouvelles bases, la paix pour les Anglais n'est qu'un répit qui leur permet de se renforcer, de réévaluer les plans et de se réorganiser. Pour les Français, la paix précède un nouveau départ dans l'oubli - ce que l'on voit encore aujourd'hui - alors que, pour les Anglais, elle n'est qu'une étape dans la poursuite d'un effort de guerre dont les raisons sont permanentes et dont les objectifs demeurent inchangés.

Lorsque les Anglais demandent aux Acadiens de l'Acadie orientale de leur prêter serment de renoncer à la lutte armée, ils ne cherchent qu'à gagner du temps pour organiser leur déportation. En effet, il ne s'agit pas d'intégrer les habitants du territoire conquis mais de les déposséder de leurs biens et de les exterminer en tant que peuple. La Galissonnière et son agent, l'abbé Le Loutre, le prévoyaient depuis longtemps mais l'administration royale refusa de les prendre au sérieux jusqu'à ce que les faits leur donnât raison. Il est intéressant aussi de noter que les colons de la Nouvelle-Angleterre prêtaient volontiers des intentions agressives à leurs voisins [12] et pensaient, comme c'est actuellement toujours le cas aux Etats-Unis, qu'ils étaient nécessairement l'objet de convoitises et qu'ils étaient ainsi acculés à la lutte armée ("si nous ne le détruisons pas, 'ils' nous détruiront".) Darwin a d'ailleurs cristallisé cette idée de lutte constante issue d'un sentiment manichéen, qui lui-même dérive du protestantisme (voir chapitre 4), dans sa fameuse théorie sur l'évolution des espèces, en 1859.

[...] L'effondrement de la Nouvelle-France n'était pas "un impératif de l'histoire". Dale Carnegie, qui écrit son livre "Public speaking" en 1956, cite Foch qui, lors de la bataille de la Marne en 1914, déclara:

"Le centre de mes troupes est enfoncé. L'aile droite est en retraite. La situation est excellente. Nous attaquons !"

Cette attaque sauva Paris et fut essentielle dans la mesure où elle brisa l'offensive allemande durant la Première Guerre mondiale.

Cependant, le point le plus important durant la Guerre de Sept Ans, est de noter les convictions de Vaudreuil et surtout de Montcalm qu'ils ne pourraient pas assurer leurs missions avec succès. Pour eux, la guerre est perdue d'avance, vu la disparité des forces en présence. Les deux chefs sont vaincus d'avance en pensée, condition la plus assurée pour l'être un jour effectivement. En effet, lorsqu'une situation en évolution constante peut commencer à ressembler à un échec, un individu vaincu à l'avance en pensée ne verra que ce qu'il a anticipé et ne pourra donc pas en conséquence réagir pour inverser la tendance.

La France dans la Guerre d'Indépendance américaine.

Banastre Tarleton et ses dragons sont particulièrement honnis des Américains, ayant commis de multiples atrocités dans les Etats du sud. [...] Les nombreuses exactions commises par les troupes britanniques ont choqué les opinions européennes, jetant un important discrédit sur la Couronne britannique.

[Dans le film "The Patriot" de Mel Gibson (2000), le Lieutenant-Colonel Banastre Tarleton a inspiré le personnage du colonel William Tavington incarné par l'acteur britannique Jason Isaacs. Ndlr.]

 

Une réaction tardive à la perte de la Nouvelle-France sera la financement de la révolution américaine par Louis XVI. William Piel, de l'Université Harvard, écrivait en septembre 1997 que ce que les Français dépensèrent durant la révolution américaine équivalait à trois fois les revenus annuels de l'Etat français, qui ne fut même plus en mesure de payer l'intérêt de cette dette. Ce désastre financier fut déterminant dans le déclenchement de la Révolution française et donna prématurément naissance à une force continentale, fille de l'Angleterre, portant le nom d'Etats-Unis d'Amérique...

 

L'infériorisé, qu'il se mette lui-même en état d'infériorisé ou qu'une entité extérieure lui communique ce sentiment par l'application des techniques propres à la guerre contre l'intelligence est un infirme mental, un véritable poison pour lui-même et pour sa communauté dans la mesure où il n'a plus les moyens de trouver en lui-même les raisons pour combattre, ni même le désir d'être vainqueur. Chez un militaire, un chef d'Etat, un haut fonctionnaire, un chercheur ou un industriel, cet état d'esprit entraîne une inhibition de l'action et le déclin rapide de sa société s'il se généralise. L'étude de la Nouvelle-France est d'une grande utilité car elle est l'un des meilleurs exemples qui se puissent trouver pour illustrer les dégâts que nos "élites" peuvent engendrer dans l'évolution de nos sociétés, lorsque leurs dispositions mentales sont, pour diverses raisons, négatives. Un ennemi n'a nul besoin de nous combattre s'il arrive à nous convaincre que nous sommes inférieurs à lui. La nouvelle guerre contre l'intelligence repose en grande partie sur ce principe.

Comment peut-on, après avoir étudié cette période de notre histoire, ne pas être irrité par les stupides commentaires que l'on peut trouver dans l'encyclopédie Universalis informatisée, cuvée 1997, rédigée en France, lorsque, à la section "Canada - Histoire et politique", on peut y lire que "les franco-canadiens sont mal inspirés par leur nationalisme latent" [13] ? Les exploits des combattants les plus brillants de l'Amérique française de la fin du XVIIe siècle n'ont jamais été immortalisés par Alexandre Dumas ni par Victor Hugo dans sa "Légende des Siècles". Pourtant, durant plus de deux siècles, l'histoire de l'Amérique française fut partiellement riche en épisodes susceptibles d'enflammer l'imagination des jeunes générations. Néanmoins, les franco-français ont préféré troquer les aventures d'un Saint-Castin, d'un Joseph Broussard (Acadien célèbre qui s'illustra surtout durant la période de la Grande déportation) ou d'un Boishébert pour le mythe du "garçon vacher" anglo-américain, plus connu sous la désignation de "cow boy", qui a fait l'objet de tant de romans, de bandes dessinées et de films (les films sont, eux, d'origine presque exclusivement américaine).

A l'exception des Québecquois les plus cultivés, les noms de Du Tisné, La Harpe, D'Iberville, Vényard de Bourgmont, La Vérendrye, Simard de Belle-Ile, les plus fameux des explorateurs français d'Amérique du nord sont iinconnus des Français et autres Européens francophones.

Depuis notre plus tendre enfance, on interdit aux francophones de se souvenir que la découverte des grands espaces, les aventures et les grands exploits ont été aussi réalisés en français. Actuellement, plus de 4 000 noms de lieux attestent encore l'ancienne présence francophone sur le territoire des Etats-Unis. [14]

Carte nouvelle de la partie de l'ouest de la Province de la Louisiane sur les observations et decouvertes du Sieur Benard de la Harpe

Carte nouvelle de la partie de l'ouest de la Province de la Louisiane sur les observations et decouvertes du Sieur Benard de la Harpe

Cartes de l'explorateur français D'Iberville http://www.museedelhistoire.ca/musee-virtuel-de-la-nouvelle-france/les-explorateurs/pierre-le-moyne-diberville-1686-1702/

Cartes de l'explorateur français D'Iberville http://www.museedelhistoire.ca/musee-virtuel-de-la-nouvelle-france/les-explorateurs/pierre-le-moyne-diberville-1686-1702/

La Guerre de Cent Ans des Français d'Amérique

Les explorateurs français

Les Français décrivent et traitent avec grand respect tous les peuples aborigènes rencontrés.

Depuis fort longtemps, notre jeunesse découvre l'Amérique par culture étrangère interposée. Nous utilisons même les désignations anglaises des anciennes tribus indiennes. Les "Agniers" sont devenus les Mohawks, les "Chaouanons" sont devenus les Shawnees, les Chenaquis sont devenus les Cherokees, etc.

Dans l'inconscient francophone populaire actuel, les héros américains n'ont jamais été français. Nous nous sommes progressivement habitués à rêver par procuration. Nous sommes ignorants du fait que ce grand dessein de création, ces grandes aspirations et ce désir de provignement (fait de marcotter la vigne) se sont réalisés dans notre culture et notre langue durant plus de deux siècles dans un territoire presque vacant qui pouvait facilement accueillir une nouvelle civilisation tout en respectant celle qui y était plus anciennement installée.

Encore aujourd'hui, ces descendants des Français d'Amérique que sont les Québecquois et les Acadiens n'ont même pas le droit d'organiser des jeux de la Francophonie sans que le gouvernement fédéral canadien ne leur impose l'usage de l'anglais (en plus du français), comme cela fut le cas en 2001 à Ottawa. Léon Dion, un intellectuel québecquois (cité par l'écrivain Doris Lussier) déclarait :

"Depuis 1763, nous n'avons plus d'histoire, sinon celle que nos conquérants veulent bien nous laisser vivre, pour nous calmer. Cette tâche leur est d'autant plus facile que nous secrétons nos propres bourreaux."

Toute défaite militaire entraîne dans son cortège un sillage de collaborateurs zélés parmi lesquels on trouve ceux chez qui l'intérêt matériel prime, mais aussi, et davantage, d'authentiques convertis qui ont été surtout vaincus en esprit. Le manque de confiance en soi et la soumission qu'il entraîne font sans doute partie des caractéristiques qui persistent le plus longtemps chez les peuples qui ont fait l'expérience de l'humiliation et de la défaite. Evoquant de Gaulle dans un entretien avec la presse après la Deuxième Guerre mondiale, Alain Peyrefitte disait :

"Le problème était d'arracher les Français à leur complexe de soumission... Le général était frappé par la propension de notre peuple à aller chercher des consignes ailleurs, à se reposer sur les autres de leur destin. Mais son réalisme foncier il montrait que l'on ne pouvait renforcer le goût de leur indépendance sans leur montrer qu'elle était viable."

[...] La défaite des plaines d'Abraham de 1760 n'apporta aux Canadiens français strictement rien de plus qu'ils n'avaient déjà, mais elle en fit, au contraire, des citoyens de seconde classe pour longtemps.

 

Dans un article intilulé "Qu'est-ce qui rend la France malade maintenant ?", paru dans le "new York Times" récemment, le professeur d'histoire européenne de l'Université de Californie à Los Angeles (UCLA) Eugène Weber, assurait que "ce n'est pas le manque de vision qui handicape l'Hexagone, mais l'excès d'aspirations avortées !" Eugène Weber fait remontrer le "déclin de la France à la quatrième, voire à la Troisième République". Tout en qualifiant les Français de "cocus de l'histoire", il prophétise que ce déclin va empirer parce que selon lui :

"la France manque de dirigeants ayant une vision", actuellement.

Weber oublie le point le plus important, celui de l'infériorisation des élites, qui ont déjà perdu une guerre qu'elles n'ont jamais combattue, "la guerre contre l'intelligence".

Cependant, certains signes laissent à penser que lentement, très progressivement, poussés inexorablement par le temps, des changements de mentalité sont à l'oeuvre. Le 15 février 1998, l'agence de presse AFP rapportait de La Nouvelle Orléans qu'un avocat américain de Lafayette en Louisiane, descendant direct d'Acadiens, se battait actuellement pour obtenir de la Grande-Bretagne des excuses à son peuple expulsé en 1755 des terres acadiennes de Nouvelle-Ecosse. Warren Perrin* avait déposé dès 1990 une requête en ce sens auprès du gouvernement britannique et de la Couronne d'Angleterre. Il ne demandait pas de dédommagement financier mais souhaitait simplement la reconnaissance de la tragédie du peuple acadien et la construction d'un monument  en commémoration des souffrances. Il était en négociations avec des avocats de Houston (Texas) représentant le gouvernement britannique et envisageait en cas d'échec de porter l'affaire devant la Cour européenne des droits de l'Homme. Monsieur Perrin avait espéré voir son voeu exaucé en 1999; date de deux rendez-vous francophones importants: le Congrès mondial des Acadiens - descendants des colons français installés aux XVIIe et XVIIIe siècles en Acadie -, en août 1999 en Louisiane, et le Sommet de la Francophonie au Nouveau Brunswick (Canada) en septembre de la même année. [...] Le traité d'Utrecht de 1713 conclu à la suite de la conquête de l'Acadie par les Anglais leur accordait (aux Acadiens Ndlr.) le droit de jouir du libre exercice de leur religion et de choisir de rester dans le pays en conservant leurs biens ou de le quitter en les emportant. Toutefois, en juillet 1755 commença "le grand dérangement" au cours duquel périrent au moins 5 000 Français. Trois mille s'installèrent en Louisiane...

Notre peuple a été victime de deux tentatives de génocide culturel", s'exclame Perrin, faisant référence au "grand dérangement" et aux tentatives d'anglicisation forcées menées par les écoles américaines dans les années 1950.

"Notre peuple a été victime de deux tentatives de génocide culturel", s'exclame Perrin, faisant référence au "grand dérangement" et aux tentatives d'anglicisation forcées menées par les écoles américaines dans les années 1950. Les "francofêtes" qui, sur toute l'année 1999, ont marqué le tricentenaire de la Louisiane française, symbolisent "la survie de notre patrimoine francophone", ajoutait M. Perrin que sa notoriété soudaine avait propulsé à la tête du Conseil pour le développement du français en Louisiane. Il se sent conforté dans son combat par l'exemple des Etats-Unis qui ont présenté en 1988 des excuses aux Américains d'origine japonaise pour le traitement subi durant la Seconde Guerre mondiale, voire celui de la Grande-Bretagne elle-même qui a, en 1995, par la voix de la reine, présenté ses excuses au peuple maori de Nouvelle-Zélande.

En cas de refus, Perrin avait l'intention de porter l'affaire auprès du tribunal des crimes de guerre des Nations Unies ou de la Cour européenne des droits de l'homme ou encore d'un tribunal fédéral américain puisque l'Angleterre a non seulement enfreint les lois britanniques et internationales mais s'est, de plus, rendue coupables de crimes contre l'humanité et de génocide. Perrin soulignait que les crimes contre l'humanité ne bénéficiant d'aucune péremption. [...] En 1997, l'Angleterre a présenté une excuse officielle aux Israéliens pour la confiscation de fonds détenus par des Juifs sur des comptes bancaires durant la Seconde Guerre mondiale. Elle a aussi annoncé l'ouverture d'une enquête judiciaire visant à éclairer l'assassinat de treize manifestants catholiques en Iralnde du nord, en 1972.

 

* Note de Christ-Roi. Warren Perrin a vu son voeu de voir la déportation des Acadiens officiellement reconnue, exaucé en 2003, avec une proclamation royale signée de la main d’Élisabeth II, reconnaissant les torts causés par le "Grand Dérangement". Cf. Warren Perrin, 25 ans de combat pour les Cadiens de Louisiane.

Source: Warren Perrin, 25 ans de combat pour les Cadiens de Louisiane, Acadie Nouvelle, Publié: 8 h 19 min, mardi 21 juillet 2015 par Simon Delattre.

Notes

 

[1] Curieusement, le nom de Saint Castin, l'un des plus brillants défenseurs de l'Acadie, a été conservé aux Etats-Unis sur les lieux où, jadis, il accomplit certains de ses plus brillants exploits alors qu'il était totalement inconnu en France. En effet, la petite ville de Pentacouet fut rebaptisée Castine (dans l'Etat du Maine) par les Américains après la Guerre d'Indépendance contre l'Angleterre, en respect de ce formidable combattant.

[2] Le lecteur trouvera dans ce chapitre des résumés de certains passages du livre de Monsieur Sauvageau et de nombreuses citations.

[3] La vallée du Mississipi, qui est le fleuve le plus long d'Amérique du Nord fut également explorée par des Français parmi lesquels se trouvent Louis Jolliet, Jacques Marquette et Robert de La Salle.

[4] Il existe aussi quelques histoires parallèles de colonisation française nord-américaine comme celle de la Floride qui fut occupée par des protestants français de 1562 à 1567. Combattus et exterminés par les Espagnols, les Français furent vengés par Dominique de Gourgues en 1567. Malheureusement, le gouvernement royal n'envoya aucun nouveau colon vers cette nouvelle Floride vidée de ses occupants espagnols.

[5] Le terme "Yankee" est une déformation indienne du terme français "Anglais" qui est devenu par étape "Anqui" = "Yanqui" et finalement "Yankee" après adaptation au système phonético-graphique anglais.

[6] Il faut noter que, en dépit du "grand dérangement", la population acadienne de langue française reste substantielle au Nouveau Brunswick, l'ex-Acadie occidentale, avec 35% du total. Toutefois, Ottawa s'est attaché à miter d'anglophones villes et villages de l'Acadie pour que les Acadiens ne soient majoritaires dans aucun territoire de surface crédible. Hubert Joly, Secrétaire général du Conseil international de langue française, écrivait que, si le sommet francophone de Moncton en septembre 1999, a permis à nombre de délégations du tiers-monde de prendre conscience que la communauté acadienne est encore colonisée, et que cet avatar peut encore arriver en l'an 2000, et ironie, même à des Blancs, il s'agissait là sans doute d'un des résultats les plus tangibles de ce sommet.

[7] L'un des rares lieux de cette région qui n'a pas été débaptisée après la conquête.

[8] Sur l'appartenance maçonnique de Choiseul : Grande Loge Suisse Alpina http://www.freimaurerei.ch/f/alpina/artikel/artikel-2006-4-01.php

[9] Choiseul avait "en réalité, par calcul personnel,[...] laissé la crise morale et institutionnelle se développer jusqu'à mettre le royaume en péril" : Pierre PLUCHON, Histoire de la colonisation française, tome 1er, Le Premier empire colonial, Des origines à la Restauration, Fayard, Saint-Amand-Montrond 1996, p. 294.

[10] Pierre GAXOTTE de l'Académie française, Le siècle de Louis XV, Texto, Paris 2015, p . 295.

[11] Choiseul "de coeur avec les Parlements et presque leur complice" in P. GAXOTTE, ibid., p. 343.

[12] L'agressivité des Acadiens, bien réelle, n'était, la plupart du temps, que la réaction contr les incursions anglaises de l'époque et de la politique de dévastation systématique qu'ils appliquaient alors.

[13] Une encyclopédie historique est censée décrire les faits, expliquer les évènements. Elle ne constitue en aucun cas une plate-forme pour donner libre cours aux sentiments et opinions personnelles de ses auteurs.

[14] Au Canada anglais, à quelques exceptions prêts, la plupart des lieux ont été débaptisés. "Fort Frontenac" est devenu Kingston, "Fort Rouillé" Toronto, le Lac "Ouinipigon" le lac Winnipeg, "Chibouctou" Halifax. Aux Etats-Unis, les noms de certaines grandes villes ont été changés, comme par exemple "Fort-Duquesne" qui est devenu Pittsburgh. A la frontière Canada-Etats-Unis, "Pontchartrain duD étroit" est resté "Détroit" du côté américain et a été rebaptisé "Windsor" du côté canadien.

[15] CODOFIL = "Council for the development of french in Louisiana".

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