"A beaucoup d'égards, le bilan (des destructions sous les Guerres de religion) a été bien pire que celui de la Révolution française."
Pour faire écho à une actualité brûlante, le thème de l'iconoclasme protestant et des destructions opérées pendant les guerres de religion a été abordé par Tv-Libertés "Passé Présent", présentée par Philippe Conrad et Catherine Gourin. Il s'agit d' dont des évènements comparables se sont reproduits sous la Révolution et face auxquels les actuels islamistes, destructeurs d'objets culturels pré-islamiques, font office d'amateurs.
01:37 - L'iconoclasme protestant pendant les guerres de religion.
Extrait :
"On a pas mal oublié ce qui s'est passé au XVIe siècle à la faveur des guerres de religion. Et là, à beaucoup d'égards, le bilan a été bien pire que celui de la Révolution française. De quoi s'agit-il au départ ? D'une lecture littérale de certains passages de la Bible tirés du Livre de l'Exode ou du Deutéronome qui justifiaient en quelque sorte la destruction des idoles.
Ce phénomène n'est manifesté d'abord en Allemagne et en Suisse, qui ont été les terres d'orine de la Réforme protestante dans les années 1520-1530. Zürich, Bâle, Strasbourg sont aussi concernés."
. Le Roi François Ier en personne va participer à la procession expiatoire qui sera organisée à la suite de tout cela.
Dans la nuit du 31 mai au 1er Juin 1528, une statue de pierre de la Vierge est mutilée dans le quartier dit ''des juifs'', dans le Marais. La niche contenant la statue se trouve à l'angle de la rue du Roi de Sicile et de la rue des Juifs (rue des Rosiers) . La tête de la vierge et celle de l'enfant Jesus sont décapitées. Cet évènement est aussitôt mis en relation avec d'autres manifestations d'iconoclastie menées par les partisans de la Réforme et de LUTHER pour qui le culte des Saints, et de la Vierge Marie en particulier, sont contraires au véritable sens de la Foi. Bientôt l'information circule dans tout Paris. L'émotion de la population est grande car le culte de Marie est extrêmement populaire et répandu. " Lors le Roi étant à Paris, de ce averti, fut si courroucé et marri qu'on dit qu'il en pleura très fort" (in :Journal d'un bourgeois de Paris). Source: http://www.renaissance-france.org/rabelais/pages/15282.html
C'est là que vous avez les grandes vagues iconoclastes. Principalement en 1561-1562, et puis 1567-1570 pour les périodes les plus violentes, les plus radicales.
"Massacre de Vassy" (1er mars 1562) par des soldats du duc de Guise, contre 200 Huguenots qui célèbraient le culte dans une grange. "Or, il (le massacre de Vassy) fut précédé de massacres de catholiques et d'excès de toutes sortes commis sur plusieurs points du territoires par les huguenots. Excitées par "les appels sauvages" de leurs pamphlétaires, les passions protestantes 'faisaient rage dès 1560.' Dans les provinces du Midi surtout, il y avait des prêches en armes, des pillages, saccagements d'églises, des courses, des combats entre les bandes huguenotes et les troupes royales. … En 1561, les huguenots avaient saccagé l'église saint-Médard et plusieurs autres. Dans un certain nombre de villes du Languedoc, ils s'étaient emparés à main armée de plusieurs églises : à Montauban, Béziers, Castres, Nîmes, ils avaient interdit tout culte catholique, arraché les religieuses de leurs couvents et forcé ces innocentes victimes à assister aux prêches; à Montauban, il y avaient poussé le peuple à coups de fouet et de nerfs de bœufs. Ceux qui avaient essayé de résister avaient été mis en prison et fouettés jusqu'au sang; plusieurs mêmes avaient expiré sous les coups. Le 20 octobre 1561, à Montpellier, les huguenots avaient pris les armes, s’étaient rués à l'improviste sur les catholiques, avaient tué, avec le gardien des Cordeliers, près de quarante personnes et pillé plus de soixante églises ou chapelles…" [Source: Jean Guiraud, Histoire partiale histoire vraie, tome I Des origines à Jeanne d'Arc, neuvième édition, Gabriel Beauchesne & Cie Editeurs, Paris 1911, p. 70-71.] .... "Il n'y eut pas à Vassy un massacre de protestants; mais […] une bagarre sanglante, une échauffourrée où il y eut des morts des deux côtés, Guise lui-même étant blessé par les protestants." [ibid. p. 403.] … Les guerres de religion étaient déjà commencées avant le massacre de Vassy. …On vit des bandes ou plus exactement de vraies armées protestantes organisées, dès 1559, 1560, 1561, c'est-à-dire un an, deux ans, trois ans auparavant, dans toute l'étendue du territoire, occupant de force les églises, saccageant les villes, promenant la dévastation dans les campagnes. … Qu'étaient-ce donc que ces émeutes suscitées délibérément par les protestants, ces rixes et ces batailles sinon des guerres de religion ? … Et le tableau que Ronsard (Discours des misères de ce temps adressé à la reine régente Catherine de Médicis) et Mézeray nous ont tracé de la France en 1562, nous montre qu'elle était livrée depuis longtemps aux luttes à main armées des factions politiques et religieuses." [ibid., p. 404.]
Le phénomène (de la violence protestante NDLR.), on le retrouve à d'autres périodes mais de manière plus isolée.
On en constate un retour en 1620 quand Louis XIII va engager la lutte avec les Protestants et qui se terminera par l'"édit de grâce d'Alès" en 1629 [qui met un terme au soulèvement protestant, confirme la liberté de culte et l’égalité civile accordée aux protestants par l’édit de Nantes (1598), mais ceux-ci perdent leurs places fortes et leurs privilèges militaires. Véritable fin des guerres de religion. L’année 1629 marqua la défaite finale du protestantisme comme parti politique et comme État dans l’État. NDLR.]
Quel est le sens de tout cela ? C'est le refus pour les protestants du pouvoir miraculeux qui est traditionnellement attribué aux statues et aux reliques. Il s'agit pour eux de désacraliser pour eux ce qu'ils considèrent comme des idoles. Et l'iconoclasme pour eux est un acte sanctifiant. Ils sont prêts même à subir le martyre pour avoir commis ce genre d'actes.
Cela peut prendre des formes un petit peu différentes. Olivier Christin qui est un des grands historiens du phénomène et qui s'est intéressé surtout au cas de la ville du Mans, distingue bien entre un iconoclasme populaire qui concerne les masses populaires en général, pour lesquelles c'est une forme de carnaval excessif de renversement des valeurs qui fait qu'on va casser ces statues et un certain nombre de symboles, et une certaine couche sociale protestante supérieure qui va préméditer, organiser et instrumentaliser à son profit le rejet des 'idoles' parce que c'est ensuite un élément de pouvoir.
où le huguenot est maître, il ruine toutes les images, démolit les sépulcres, enlève tous les biens sacrés voués aux églises."
Et l'ambassadeur de Venise témoigne:
"Les novateurs (c'est ainsi qu'il désigne les 'Réformés') ont détruit les temples ou édifices sacrés en si grand nombre que dix années de revenus de la Couronne ne suffirait pas pour les rebâtir !"
Donc un vandalisme massif, généralisé (on va voir comment les choses se répartissent par provinces); un vandalisme unilatéral, puisque du côté du camp catholique il n'y a rien à détruire. Et les protestants n'ont pas d'édifices du culte consacrés, ils se réunissent généralement en plein air ou dans des granges à l'époque. Donc c'est vandalisme qui concerne essentiellement les édifices ou le patrimoine catholique.
Le bilan est accablant, mais il est inégal selon les régions.
La Bretagne par exemple est relativement épargnée. C'est une terre profondément catholique et qui le demeure, qui connaît à peine la 'Réforme', et qui va même rester pendant très longtemps un bastion de la Ligue (le duc de Mercoeur va continuer la lutte jusqu'à la conclusion de l'édit de Nantes en 1598 dans cette région).
Donc la Bretagne est largement épargnée. On peut en dire autant globalement de l'Île de France. Paris est une ville ligueuse. On sait comment Henri III a dû la quitter sous la pression du peuple monté sur les barricades. On sait comment Henri IV sera obligé de l'assiéger et devra se convertir avant de pouvoir en finir avec cette résistance. Donc l'Île de France est relativement peu touchée avec quelques exceptions notables quand même : la cathédrale de Meaux en 1562, la Collégiale Notre-Dame de Poissy (pour la petite histoire il faut rappeler qu'au mois de mai il y a eu un évènement dont la presse a très peu parlé, un acte de vandalisme comparable dans la Collégiale de Poissy, là où a été baptisé Saint-Louis: la statue de Saint-Louis a été démolie lundi 27 avril.)
En dehors de ces deux régions, tout le reste du pays va être touché à des degrés divers. Certes des restaurations interviendront ensuite. Les Bénédictins de Saint-Maur au XVIIe surtout et au XVIIIe siècle vont y contribuer dans une large mesure. Puis ensuite au XIXe siècle, Viollet-le-Duc dont on a dit beaucoup de mal pour ses restaurations parfois un peu aventurées, mais qui a eu le mérite de remettre sur pieds un patrimoine essentiel.
En tous les cas, beaucoup a été perdu. Et à la fin du XVIe siècle la France apparaît comme un gigantesque champ de ruines. La Normandie a été spécialement touchée. La cathédrale de Rouen, l'Abbaye de Saint-Ouen, les Monastères de Saint-Wandrille, de Jumièges, de Sainte-Honorine de Graville, l'église Saint-Jacques de Dieppe, les églises Saint-Etienne et de la Trinité de Caen (dite Abbaye-Aux-Dames) avec la violation des sépultures de Guillaume le Conquérant et de la reine Mathilde; la Cathédrale de Bayeux avec les tombeaux des évêques qui sont violés, leurs ossements jetés aux chiens. Et il faut ajouter la Cathédrale de Coutances, les sanctuaires de Valogne (voir ici et là), de Falaise, de Vire. Seul en Normandie le Mont Saint-Michel a été épargné. Il avait résisté aux assauts anglais à la fin de la Guerre de Cent Ans, il a résisté à la violence dévastatrice des huguenots pendant les Guerres de religion.
Avec un point particulier qu'il est intéressant de signaler. Dans le patrimoine architectural parce que c'était plus facile à détruire, ce sont les jubés qui ont particulièrement souffert - ces structures séparant le choeur liturgique de la nef de l'église -. Celui qui était extrêmement riche était celui de l'église Saint-Etienne du Mont à Paris. Il y en avait des dizaines comme cela en France. C'est ce qui était généralement détruit en premier par les casseurs de l'époque.
Puis (dans les autres régions), les sanctuaires de Soissons, d'Auxerre, l'Abbaye de Cluny dévastée et pillée à trois reprises en 1562, 1567, 1575 (sa bibliothèque, dont on imagine la richesse, a été complètement dévastée et a été en grande partie perdue); le trésor de l'Abbaye de Paray-le-Monial disparaît; l'église de la Charité-sur-Loire est détruite; la Madeleine de Vézelay est transformée en écurie, l'église de Guérande, pour sa part, en porcherie, Saint Philibert de Tournus, magnifique sanctuaire roman parmi les plus anciens en France, est saccagé. Les sanctuaires d'Orléans subissent un sort comparable avec des fonts baptismaux transformés en chaises percées. Notre-Dame de Cléry, où se trouvait le tombeau de Louis XI, est également pillé et le tombeau profané ( ) Même situation au Couvent des Annonciades de Bourges en 1562 (où les hugenots dévastent la chapelle, profanent le tombeau de Sainte Jeanne de France, fille de Louis XI, fondatrice à Bourges en 1501 de l'Ordre des moniales contemplatives de l'Annonciation de la Vierge Marie, dites sœurs de l'Annonciade, font brûler ses restes, dispersant ses cendres.NDLR.) Et la châsse de Saint-Benoît, qui se trouvait à l'Abbaye de Saint-Benoît sur Loire est fondue pour que Cologny, le chef protestant, puisse payer ses troupes.
Chartreuse du Liget, monastère de moines-ermites chartreux fondé en 1178 par Henri II Plantagenêt en Touraine - Portail du monastère ruiné par les Guerres de religion
Gisant des parents de Richard Coeur de Lion (Henri II et Aliénor d'Aquitaine). Abbaye de Fontevraud (Anjou)
Gisant de Richard Cœur de Lion (vers 1199, abbaye de Fontevraud)
Il y a des dégâts considérables en Poitou, en Saintonge, où les Guerres de religion ont été extrêmement présentes.
En Isère, la Grande Chartreuse est pillée; c'est la région où sévit le fameux Baron des Adrets, célèbre pour sa cruauté.
L'Abbaye de la Chaise-Dieu en Haute-Loire est pillée également. Le tombeau du Pape Clément VI, Pape d'Avignon, qui était l'un des chefs d'oeuvres de la sculpture funéraire du XIVe siècle est détruit. On a des destructions comparables à Aurillac, à Mende, à Villefranche-de-Rouergue, à Conques, à Rocamadour, à Périgueux, à Souillac, à Albi. A la cathédrale Sainte-Cécile d'Albi, les dégâts sont tels que l'un des chefs protestants, Montgommery, va être surnommé l'"Attila huguenot". Ce qui est en soi tout un programme.
Toulouse va échapper à la destruction. Monluc, le fameux chef de guerre catholique va réussir à sauver Toulouse que les protestants voulaient tout simplement raser. On trouve des projets tout à fait comparables à ceux que l'on verra mis en oeuvre en 1793 ou 94 quand les révolutionnaires et les Montagnards de Paris imaginaient de détruire Lyon, changer son nom pour en faire une ville affranchie.
Les dégâts sont tout aussi importants dans le Midi languedocien et provençal, à Montpellier, à Embrun, à Avignon, à Arles.
Dans le Dauphiné, la quasi totalité du patrimoine artistique médiéval a complètement disparu.
A l'issue de cette période particulièrement sombre, certains prélats vont faire les comptes. L'évêque d'Agen, Nicolas de Villars, qui va occuper le siège épiscopal de 1592 à 1608, juste à la fin des Guerres de religion, constate que sur 427 églises de son diocèse, seules 24 sont restées intactes.
L'évêque de Toulouse de son côté constate que sur 337 églises de son diocèse, 139 ont été incendiées et ont disparu.
En tout, approximativement, 20.000 sanctuaires dans l'ensemble du Royaume ont été endommagés ou détruits. Ce qui est un chiffre évidemment absolument énorme.
Alors, Calvin, au début, condamne les excès de l'iconoclasme mais "jamais Dieu n'a commandé d'abattre les idoles sinon chacun en sa maison, et en public, à ceux qui arment d'autorité". C'est-à-dire que les autorités constituées, si elles le décident, elles peuvent le faire. Il ne faut pas que cela soit un phénomène spontané et anarchique.
Théodore de Bèze, son successeur à Genève, tient des propos comparables. Il est pour un iconoclasme organisé et qui s'opère dans l'ordre. Il donne d'ailleurs des conseils à Jeanne d'Albret, la mère d'Henri IV à ce sujet.
Du côté catholique, le phénomène n'est pas comparable. On verra tout de même une destruction du temple de La Rochelle en 1628, après la prise de La Rochelle assiégée par Richelieu. Et en 1685, au moment de la révocation de l'édit de Nantes, le temple de Charenton subira le même sort. Mais on comprend bien à l'évocation de toutes ces destructions et en imaginant ce qu'a été la mémoire de ce conflit sanglant qui a duré plusieurs décennies, dans une France où les Protestants étaient tout à fait minoritaires, il faut le rappeler, et y compris au XVIe siècle, on comprend bien quel soutien l'opinion populaire a apporté en 1685 à la révocation de l'édit de Nantes, décidé par l'édit de Fontainebleau de Louis XIV. Les gens n'avaient pas oublié.
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