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28 mars 2015 6 28 /03 /mars /2015 10:05
« Il faut être d’une naïveté confondante pour tenir le système capitaliste pour conservateur ! » (Alain de Benoist)

Dans un entretien réalisé par Nicolas Gauthier pour Boulevard Voltaire, Alain de Benoist explique "l’inconséquence tragique de ces conservateurs ou « nationaux-libéraux » qui veulent à la fois défendre le système du marché et des « valeurs traditionnelles » que ce système ne cesse de laminer". Extrait :

 

On se souvient de la déclaration de François Hollande quand il était en campagne électorale : « Mon ennemi, c’est la finance ! » Aujourd’hui, elle est apparemment devenue son amie, comme en témoigne l’arrivée aux manettes du banquier Emmanuel Macron. Quant à la loi portant le nom de ce dernier, le MEDEF devait en rêver, le PS l’a faite. Cela vous surprend ?

 

"Pas du tout. Depuis qu’il s’est officiellement rallié, sinon à la société de marché, du moins au principe du marché, en 1983, le PS n’a fait que dériver toujours plus loin vers un libéralisme social… de moins en moins social. Cela confirme et illustre le propos de Jean-Claude Michéa, selon qui le libéralisme économique et le libéralisme « sociétal » ou culturel sont voués à se rejoindre, puisqu’ils procèdent tous deux d’une même matrice idéologique, à commencer par une conception de la société perçue comme une simple addition d’individus qui ne seraient liés entre eux que par le contrat juridique ou l’échange marchand, c’est-à-dire le seul jeu de leurs désirs et de leurs intérêts.

 

« Le libéralisme économique intégral (officiellement défendu par la droite) porte en lui la révolution permanente des mœurs (officiellement défendue par la gauche), tout comme cette dernière exige, à son tour, la libération totale du marché », écrit encore Michéa. Inversement, la transgression systématique de toutes les normes sociales, morales ou culturelles devient synonyme d’« émancipation ». Des slogans de Mai 68 comme « Jouir sans entraves » ou « Il est interdit d’interdire » étaient des slogans typiquement libéraux, interdisant de penser la vie humaine selon son bien ou selon sa fin. La gauche, aujourd’hui, donne d’autant mieux dans le libéralisme sociétal qu’elle s’est entièrement convertie au libéralisme économique mondialisé. [Le libéralisme économique n'est pas partout, il est dans les échanges commerciaux, la libre circulation des marchandises, de moins en moins dans la liberté d'entrependre compte tenu du niveau d'imposition des entreprises, et surtout pas dans l'interventions de la banque centrale dans l'économie digne de l'époque soviétique. NDLR]

 

Le néo-capitalisme financiarisé et mondialisé, que certains s’entêtent à considérer comme « patriarcal et conservateur », ne serait-il pas finalement plus révolutionnaire que notre « socialisme » français, manifestement à bout de souffle ?

 

Il faut être d’une naïveté confondante pour voir dans le système capitaliste un système « patriarcal » ou « conservateur ». Le capitalisme libéral repose sur un modèle anthropologique, qui est celui de l’Homo œconomicus, un être producteur et consommateur, égoïste et calculateur, censé toujours chercher à maximiser rationnellement son utilité, c’est-à-dire son meilleur intérêt matériel et son profit privé, et sur un principe ontologique qui est celui de l’illimitation, c’est-à-dire du « toujours plus » (toujours plus d’échanges, toujours plus de marché, de profits, etc.). Cette propension intrinsèque à la démesure le conduit à considérer tout ce qui peut entraver l’extension indéfinie du marché, la libre circulation des hommes ou la marchandisation des biens comme autant d’obstacles à supprimer, qu’il s’agisse de la décision politique, de la frontière territoriale, du jugement moral incitant à la mesure ou de la tradition qui rend sceptique vis-à-vis de la nouveauté.

 

N’est-ce pas en cela que le système capitaliste rejoint l’idéologie du progrès ?

 

Marx avait déjà constaté que l’avènement du capitalisme avait mis un terme à la société féodale traditionnelle, dont il avait noyé toutes les valeurs de solidarité communautaire « dans les eaux glacées du calcul égoïste ». Observant que la montée des valeurs bourgeoises s’était opérée au détriment des valeurs populaires comme des valeurs aristocratiques (« tout ce qui avait solidité et permanence s’en va en fumée, tout ce qui était sacré est profané »), il écrivait que « la bourgeoisie ne peut exister sans révolutionner en permanence les instruments de production, donc les conditions de production, donc l’ensemble des rapports sociaux ».

C’est à ce titre qu’il parlait du « rôle éminemment révolutionnaire »» joué au cours de l’Histoire par le capitalisme, à commencer par l’expulsion des paysans des sociétés rurales par un processus de dépossession de masse qui a vu la destruction du lien immédiat entre le travail et la propriété, afin de créer un vaste marché où, transformés en salariés, ils achèteraient désormais les produits de leur propre travail.

 

Plus proche de nous, Pier Paolo Pasolini disait que, du point de vue anthropologique, « la révolution capitaliste exige des hommes dépourvus de liens avec le passé […] Elle exige que ces hommes vivent, du point de vue de la qualité de la vie, du comportement et des valeurs, dans un état, pour ainsi dire, d’impondérabilité – ce qui leur permet d’élire comme le seul acte existentiel possible la consommation et la satisfaction de ses exigences hédonistes. » Le capitalisme libéral exige en effet des hommes hors-sol, des hommes interchangeables, flexibles et mobilisables à l’infini, dont la liberté (à commencer par la liberté d’acquérir, d’échanger et de consommer) exige qu’ils soient déliés de leurs héritages, de leurs appartenances et de tout ce qui pourrait, en amont d’eux-mêmes, les empêcher d’exercer leur « libre choix ». Dans cette perspective, rompre avec les traditions héritées du passé, rompre avec l’humanité antérieure équivaut nécessairement à un bien. D’où l’inconséquence tragique de ces conservateurs ou « nationaux-libéraux » qui veulent à la fois défendre le système du marché et des « valeurs traditionnelles » que ce système ne cesse de laminer.

 

Outre cette inconséquence au plan économique et sociétal, une autre inconséquence, fatale, des "nationaux-libéraux" au plan moral et spirituel cette fois-ci est celle qui consiste à contester mai 68, à déplorer la "crise de l'autorité", mais à ne jamais remettre en question la source et la cause de cette crise : la "Souveraineté nationale" [1] à la place de la Souveraineté de Dieu. Concrètement donc, ils vivent "comme si Dieu n'existait pas", comme dans une "apostasie silencieuse", pour reprendre l'expression de St Jean-Paul II (Ecclesia in Europa, 9). C'est-à-dire, pour beaucoup, ils veulent organiser catholiquement la société tout en en sapant le fondement (le Christ "pierre angulaire". Cf. Actes des Apôtres, 4, 8-12.)

 

Un exemple concret de cette inconséquence des "nationaux-libéraux" au plan moral et spirituel concerne l'encouragement au vote et à la participation. L'abstention tend pourtant à être revendiquée - et cela depuis le Comte de Chambord - comme un acte politique de résistance civique libre par excellence, une "affirmation et une protestation éclatante", l'étendard raisonné de la résistance au Nouvel ordre mondial antichrist. Il est encore temps pour eux de jeter leur force dans cette grande bataille civique. Par exemple s'agissant de l'abstention en en expliquant les ressorts moraux et intellectuels.

 

Quoiqu'il en soit, s'il y a bien une chose que le système redoute c'est la convergence trans-courants, la "coagulation", la fédération, la réunion, la solidarité en dehors des balises et des clivages partisans communautaristes et victimaires que contient la virtualité abstentionniste, et donc l'organisation de la vie sociale et politique en dehors des cadres définis par les maîtres Jacobins. Il y a une vie en-dehors de la plantation esclavagiste.

Notes

 

[1] La "souveraineté nationale" est cette monstruosité antidivine inscrite dans l'article 3 de la Déclaration des droits de l'homme: "Le principe de toute Souveraineté réside essentiellement dans la Nation". Ce qui revient à supprimer le principe d'autorité et à placer l'inférieur au-dessus du supérieur (à placer l'homme au-dessus de Dieu). D'où par effet domino la crise de l'autorité partout.

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