Une enquête sur les rapports des élèves et de la religion remet en cause toutes les orientations prises par la gauche depuis trente ans à l'école.
et qui présente une "école saisie par la foi", n'ait pas compris la "saine laïcité" défendue par la doctrine sociale de l'Eglise.
Brighelli l'a lue pour vous.
Par Jean-Paul Brighelli
L'Obs – et la presse de gauche en général – serait-il en train de lâcher doucement Mme Vallaud-Belkacem ? C'est la première idée qui m'est venue à la lecture du dossier « L'école défiée par la religion », qui confronte le ministre aux résultats – saisissants, quoique d'une méthodologie contestable – d'une enquête effectuée par une équipe conjointe du CNRS et de Sciences Po.
Les femmes au foyer, et les cochons seront bien gardés
Les ennuis commencent dès la sixième. Au programme, les grands textes fondateurs. « Au commencement, Dieu créa le ciel et la terre. » La prof de Français interviewée par le magazine a beau expliquer qu'il s'agit d'un mythe, nombre d'élèves s'insurgent. « C'est vrai, c'est bien comme ça que ça s'est passé. » Probablement y étaient-ils.
Les adolescents se définiraient donc d'abord en fonction de leur appartenance religieuse. Particulièrement les musulmans – nous y voilà, L'Obs flirte dangereusement avec l'islamophobie –, « fiers de leur religion » à 90 %. Mais dans la même statistique, les enquêteurs font dire aux athées – 39 % des élèves quand même, sur un échantillon de 9 000 collégiens des Bouches-du-Rhône, où ils représentent donc plus d'un tiers, les musulmans 2 5% et les juifs 1,6 % (sans que rien dans les graphiques ultérieurs de l'enquête n'indique les rapports de forces des différents groupes) qu'eux aussi sont fiers de leur religion – à 65 % : ils ne doivent pas avoir tout compris, à Sciences Po, sur l'étrange religion des athées.
Des croyants qui pensent à 71 % que Dieu a créé ex nihilo les espèces vivantes – y compris le moustique porteur de chikungunya et de Zika. Que la place de la femme est à la maison (à 40 % – les autres, ce sont les filles sans doute, mais l'absence de statistiques par sexe fausse largement les réponses). Et que les livres et les films qui attaquent la religion (flou artistique : j'aimerais assez connaître les réponses précises de gosses de 12 à 15 ans sur les « livres » en question – vous savez, ce machin imprimé sur du papier qu'on nous force à lire en classe : les rapports des élèves et du Dictionnaire philosophique de Voltaire, ou les écrits du curé Meslier, d'Holbach ou Helvétius sont… des rapports protégés) devraient être proscrits.
Ou que – cessons de rire – « si une loi heurtait tes principes religieux » (on tutoie les élèves, à L 'Obs – on est de gauche), 68 % d'entre eux suivraient la loi coranique contre la loi de la République. Charia incluse ? Quand on pense au nombre de musulmans entrés dans la police ou l'armée, on frémit, en ces temps d'attentats.
[...] Vallaud-Belkacem à la peine
C'est donc cette enquête si scrupuleusement scientifique que commente notre ministre. Il s'agissait, bien sûr, de la montrer (à ce propos, les photos de NVB dans L'Obs sont étrangement nulles, ce qui est en soi un commentaire subliminal) ferme sur la laïcité, après ses exploits récents au Supplément de Canal+ – une émission dont L'Obs, non sans perfidie, publie une image, précisant que « la ministre est restée coite » devant les propos d'Idriss Sihamedi, le barbu humanitaire (ne cherchez pas, c'est bien un oxymore). Où la perfidie ne va-t-elle pas se nicher ! Avec des copains comme ceux de L'Obs, NVB n'a pas besoin d'ennemis.
D'autant que dans le même temps Canal+ a précisé que NVB savait parfaitement qui elle devait rencontrer sur le plateau du Supplément. Lâchage généralisé !
Dans la réponse du ministre, aucune mise en cause des programmes ni de la pédagogie – la faute à « une société qui se cherche ». Et si la dévotion est « plus marquée chez les musulmans », c'est parce que « cette génération a grandi dans l'après-11 Septembre ».
Raisonnement étrange : j'aurais cru, moi, que les horreurs perpétrées au nom de l'islam depuis une bonne vingtaine d'années – n'oublions pas les exactions du FGIS et du GIA en Algérie dans les années 1990 – auraient dû avoir, sur un esprit normal, l'effet exactement inverse : comment se reconnaître encore dans une religion qui pousse des fanatiques à opérer des tueries de masse ?
Bien entendu, l'instauration du « livret laïcité » résoudra vite tous ces menus problèmes, pendant que la droite se contente « de tenir des discours incantatoires sur la laïcité, sans jamais donner des clés pédagogiques ». Le ministre devrait relire les raisonnements d'Élisabeth Badinter (ou l'un de mes derniers livres) et réfléchir ensuite à qui est à droite – au moment même où Le Point titre avec perspicacité sur « La gauche Finkielkraut ». D'ailleurs « la droite porte une lourde responsabilité » dans ce retour du religieux à cause de son « désinvestissement massif dans l'éducation ». Et la réforme du collège, ce n'est pas du désinvestissement, peut-être ? Sans compter que la droite n'a jamais rien compris à l'éducation, et a laissé des pédagos formés à gauche régenter la Rue de Grenelle depuis quinze ans – et même davantage.
NVB défend ensuite la laïcité – et même l'Observatoire de la laïcité et le cher, l'utile Jean-Louis Bianco, que Manuel Valls a pourtant pourfendu récemment. Ils devraient accorder à nouveau leurs violons – mais le même Valls a aussi recadré sauvagement NVB lors d'une réunion avec les présidents de région.
Sur ce point de détail, je dirai qu'en l'occurrence, je suis d'accord avec le ministre de l'Éducation, comme je l'ai déjà exprimé ici : quel patron voudrait raisonnablement employer des apprentis à 14 ans, semi-illettrés, peu habitués au travail – et apparemment imbibés de superstitions et de préjugés jusqu'aux oreilles?
Aux origines du grand retour du religieux
La vérité, c'est que cette religiosité tache d'huile trouve son origine dans la loi Jospin de 1989, qui, en instituant le droit à la libre expression d'élèves qui n'avaient rien à dire que les poncifs et les mensonges récoltés sur le Net et dans leur entourage, a autorisé le discours du « c'est votre avis, ce n'est pas le mien ». Cette formule fonde tous les affrontements verbaux si fréquents désormais en classe, la contestation massive des minutes de silence et la séparation en « communautés » antagonistes.
Source (et suite): Brighelli - L'école saisie par la foi, Le point, Par Jean-Paul Brighelli, Publié le 08/02/2016 à 06:11 | Le Point.fr